Blogue Axel Evigiran

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La dispersion est, dit-on, l'ennemi des choses bien faites. Et quoi ? Dans ce monde de la spécialisation extrême, de l'utilitaire et du mesurable à outrance y aurait-il quelque mal à se perdre dans les labyrinthes de l'esprit dilettante ?


A la vérité, rien n’est plus savoureux que de muser parmi les sables du farniente, sans autre esprit que la propension au butinage, la légèreté sans objet prédéterminé.

Broutilles essentielles. Ratages propices aux heures languides...


21 juin 2022

Des limites planétaires... Par Athur Keller

 


Je ne connaissais pas Arthur Keller. Il est systémologue, en l’occurrence spécialiste des vulnérabilités sociétales, vis-à-vis des risques systémiques, et des stratégies de transformations collectives face à ces risques. 

Il est urgent de l’écouter !

Ici j’ai retranscrit la grosse première partie de son intervention lors de « La Grande tribune » qui s’est déroulée le 4 juin.

Les illustrations sont tirées de la conférence. 

Premier message : Le climat n’est qu’un problème parmi d’autres, et il faut pour résoudre le problème du climat il faut remonter à la cause des causes. Ce qui veut dire réduire les flux d’énergie et de matière, donc réduire la taille de notre économie.

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Notre civilisation est une méga-machine qui convertit le monde naturel en déchets. Nous prélevons des ressources que nous transformons avec de l’énergie, puis que nous utilisons sous forme de biens et services. Et puis en aval, on rejette des déchets et des pollutions dans le monde naturel. (…) Les déchets sont solides, liquides ou gazeux. Et parmi les gaz certains sont des gaz à effet de serre qui déséquilibrent le bilan radiatif de la terre. Le changement climatique est donc l’une des multiples conséquences du problème (…) La pression exercée par les activités humaines sur le système terre dépasse désormais la capacité de celui-ci à encaisser …


Le climat est un grave problème, parmi d’autres graves problèmes. Le monde a des limites : biologiques, physiques, écologiques … Les scientifiques du système Terre ont identifié neuf limites à ne pas dépasser, sous peine de mettre en danger la stabilité de la planète. Sur ces neuf limites au moins six ont déjà été dépassées. Le climat donc, les cycles biochimiques, ce sont les grands cycles du vivant notamment ceux du phosphore et de l’azote, la biodiversité qui est en train de s’effondrer, également l’usage de l’eau douce, l’usage des sols, gravement dégradés par les activités humaines et les pollutions qui s’accumulent et rendent toxiques les écosystèmes. C’est une problématique qui est multifacettes dont le changement climatique n’est qu’une composante. Et pourtant on embrasse aujourd’hui l’enjeu climatique comme le grand problème. (…) On confond ici deux choses : les maux et les symptômes. C’est très grave ! On traite le climat comme un mal alors qu’il n’est qu’un symptôme.

Je vais vous expliquer avec une métaphore : pourquoi cette méprise est lourde de conséquences ? Imaginez que vous ayez des maux de crâne chroniques, des problèmes de peau et qu’en plus vous ayez un problème de transit. Si vous traitez ces choses séparément, il y a une super bonne nouvelle, c’est qu’il existe une solution pour tout. Pour les maux de crâne du paracétamol, pour les problèmes de peau de la pommade et pour les problèmes de transit, de la tisane par exemple. Toutes ces choses là sont faciles, ce sont de tout petits aménagements dans un quotidien. On soulage les symptômes et on peut continuer à mener sa vie habituelle. Maintenant imaginez que ces symptômes sont les différentes manifestations d’une même maladie, imaginez que vous ayez un cancer généralisé. Croyez-vous franchement qu’en avalant du paracétamol, en vous badigeonnant de pommade et en sirotant des tisanes vous allez guérir le cancer ? Donc il faut bien retenir que la maladie ne requiert pas simplement la somme des traitements aux différents symptômes.

 


Ce n’est que lorsqu’on a compris le cancer que l’on comprend la nécessité d’une thérapie de choc. Ce que lorsqu’on a compris que la survie est en jeu qu’on comprend qu’il faut faire des arbitrages, des choix et des sacrifices difficiles. Ce n’est pas un simple aménagement de la vie ! On le fait parce que c’est ça ou peut-être mourir … Si nous étions logiques aujourd’hui en tant qu’humanité, si nous avions une intelligence collective ce que nous ferions c’est une sorte de temps-mort mondial. On réunirait on déciderait d’une thérapie de choc à l’échelle de la planète. On consentirait de se réorganiser entièrement pour survivre. (…) Qu’est-ce ce qui est un jeu ? Ma survie, la vôtre ?  C’est bien plus que ça. C’est l’habitabilité de la planète Terre pour un grand nombre d’espèces. Cela se joue dans les trente prochaines années. Voilà où on en est ! (…)

Sans une approche systémique cohérente, ce que l’on fait c’est soulager, dans le meilleur des cas, certains symptômes en en aggravant d’autres. On ne résout pas le problème, on le déplace. Prenons un exemple : la stratégie qui voudrait qu’on développe des renouvelables pour gérer le problème climatique. Cela donne quoi ? Dans nos société (les pays riches) : on développe des nouvelles technologies (éolien, solaire) qui permettent de réduire les émissions de gaz à effet de serre, et c’est très bien, mais qui par ailleurs accentuent les flux miniers, et au passage on détruit les écosystèmes, on fait chuter encore plus la biodiversité, on pollue, on utilise un maximum d’eau, il y a des problèmes de santé, d’hygiène, sociaux. On va aggraver certains symptômes pour en soigner un. (…)

Pourquoi produire de l’énergie décarbonée ? Que pensez-vous ce qui arriverait si jamais nous y parvenions ? Imaginez si nous décarbonions la production d’énergie … cela serait bien pour le climat, cela soulagerait en partie le symptôme dérèglement climatique. Mais ce serait de l’énergie au service de quoi ? Au service d’une machine extractiviste, productiviste, pollutioniste qui convertit le monde naturel en déchets. (…)


Nous avons face à nous des défis vertigineux, en termes de criticité, en termes de difficulté de la tâche, inédite, en termes de nature, d’urgence des efforts requis, en matière de prise de conscience des décideurs et des peuples, et de capacité à la mobilisation et à la remise en question… Ce que nous avons entrepris jusqu’à ce jour c’est dérisoire. On est dans une forme de déni. On fanfaronne en brandissant un cachet de paracétamol et on n’est même pas fichus de l’avaler correctement ! Le problème fondamental n’est pas climatique il concerne le dépassement des limites du système Terre. (…)

Si on s’attaquait à la cause, si on le faisait ? On ferait quoi ? On ferait l’unique chose dont on peut démontrer que cela fonctionne. On ralentirait fortement. On organiserait une descente énergétique et matérielle. Une diminution importante des flux d’énergie et des flux de ressources. En parallèle de cela on investirait massivement dans la régénération des milieux naturels et on s’organiserait enfin pour ficher la paix à la nature sauvage. Seulement pour en arriver là il faudrait changer fondamentalement notre rapport à la nature. (…) C’est un formidable défi. Défi technique ? Certainement pas ! C’est surtout un défi de changement culturel, même anthropologique, philosophique, éthique aussi. Vous y croyez à ce sursaut ? (…) Si nous faisons vraiment ce qu’il faut faire nous remettrions en question toute l’économie mondiale, tous les modèles micro et macro-économiques qui ne prennent pas en compte les limitations des ressources, nous remettrions aussi sur la table tous nos modèles sociaux et sociétaux, nous réinventerions nos modèles culturels dans cette première moitié de siècle. Vous vous doutez bien que cela ne va pas se produire, du moins pas complétement. Car la plupart des gens ne veulent pas changer – la plupart pensent d’ailleurs souvent à tort qu’ils ne peuvent pas changer. (…)



Beaucoup de gens diront : « on peut continuer de croitre économiquement, tout en allégeant la pression exercée sur l’environnement. On peut découpler ! » … Le mot est lâché, le découplage ! C’est là un vœu pieux mais hélas tout à fait candide, une croyance qui s’ancre à l’antipode de la littérature scientifique sur le sujet … Un taux de croissance de quoi que ce soit mène à une augmentation exponentielle de ce quelque chose. Prétendre qu’on va pouvoir (croitre économiquement) c’est nier les données existantes et c’est entretenir des fantasmes hors-sols sur l’avenir. La personne qui vous affirme avec aplomb qu’un découplage absolu et durable est possible entre les activités économiques et les impacts écologiques, en général il ne vous parle que des gaz à effet de serre, et même que du CO2, et la plupart du temps il va s’appuyer sur certains exemples bien précis. « Regardez tel pays, ils ont réussi à découpler ! » (…) Si certains pays peuvent le faire, et encore il faut voir s’ils peuvent le faire durablement, comme par hasard se sont toujours des pays riches et désindustrialisés. Et s’ils peuvent le faire c’est parce que d’autres pays moins riches se chargent de la production massive de matière première et aux produits manufacturés de base (…) Les expériences nationales exceptionnelles de quelques pays ne peuvent être en aucun cas être extrapolés à l’ensemble de la planète. C’est impossible ! Je rappelle que nous n’avons qu’une seule atmosphère … Or on mise tout sur le découplage, et on présente cela comme une solution ! On est dans une forme de déni. Donc présenter la soi-disant croissance verte comme la solution à tous nos problèmes, sur fond de découplage : non. Clairement non ! (…)

Et encore là on ne parle que des gaz à effet de serre. Et si vous avez bien compris, ce n’est là qu’une dimension de l’affaire. Car pour tout le reste il faudrait aussi un découplage. Sur la destruction des écosystèmes, est-ce qu’il y a un découplage entre le développement de l’économie et la destruction des écosystèmes ? Pas du tout ! C’est toujours pire là. Est-ce qu’il y a un découplage entre l’économie et les pollutions ? Non il y en a toujours plus. (…) Pour produire un point de PIB aujourd’hui on utilise plus de matières premières que pour produire le même point de PIB il y a 20 ans. On ne se rapproche pas d’un découplage on s’en éloigne. Cette croissance verte est une vaste supercherie intellectuelle. Il s’agit d’un concept en vogue, car séduisant pour tous les privilégiés du système et qui refusent d’en changer. (…) De toute manière la grande descente énergétique et matérielle dont je vous parle si nous échouons à l’organiser nous la subiront. Il y a plein de raisons pour cela. L’une des raisons c’est que notre économie mondiale n’est rien d’autre qu’une pyramide de Ponzi. Pour cela continue de fonctionner, il faut qu’il y ait toujours plus d’énergie et de matière première, sinon cela s’effondre. Et bien mauvaise nouvelle : on va avoir de moins en moins d’énergie et de matière première.  Alors soit on organise cette descente pour se donner une chance de pouvoir la piloter dans les meilleures conditions possibles ou on continue à chasser des chimères tout en refusant d’accepter nos vulnérabilités et on se met en position de subir des chocs systémiques dans le chaos et la tragédie ...  


On constate un dépassement des limites planétaires, un effondrement du vivant, une explosion des pollutions, de la toxicité des habitats et que se dessine à l’horizon des problèmes monstrueux d’accès à des ressources stratégiques, pétrole, minerais et a des ressources vitales, nourriture saine, de l’eau potable… Et malgré tout, ce qui semble nous terrifier le plus c’est encore que l’économie pourrait décroitre ...  


9 juin 2022

Des Calanques et de grotte Cosquer …

Vue depuis le belvédère Sugiton (photo par Axel)

Des paysages irracontables, en escarpements au-dessus du bleu céruléen de la Mare Nostrum … A s’épuiser de bonheur sur les sentiers ardus de rocailles blanches. Le vide à portée d’œil. Les calanques marseillaises sont l’un de ces lieux où l’on éprouve la petitesse de l’humain, la vacuité des ambitions.


Y serpentent foultitudes d’invites à l’aventure, des occasions de repousser nos limites, pour le meilleur. Car au mot randonnée, pire celui de « randonnée sportive[1] » il est loisible de préférer celui de périple – et qualifier le marcheur d’arpenteur de l’infime ! Car les calanques ne se savourent point au pas de course.

 

Sur le côté de la calanque Sugiton (photo par Axel)

Le mot Calanque dit-on provient d’un vieux vocable provençal, calo, désignant une « petite crique rocheuse ». Quant au suffixe anca, il indiquerait une pente rapide. Mais les mots sont toujours courts pour décrire la nature en majesté. Car l’aridité de ces étendues blanches et tortueuses, picorées du vert de la végétation souvent rase, tombant en à-pic dans la mer aux reflets changeants, sont d’une beauté époustouflante. Un spectacle qui se mérite !

Hélas les calanques sont victimes de leur succès et d’aménagements qui permettent de rejoindre trop aisément à notre goût les quelques plages lovées au creux des criques – « l’esprit Démocratique » frappant où il peut. Et, dès le matin, c’est vite le déversoir des foules en mal de plongeoirs. Au point d’envisager de restreindre l’accès à la Calanque du Sugiton, la plus touchée : "Certains jours, nous sommes à 2.500 personnes et nous aimerions baisser entre 400 et 600 visiteurs au quotidien”. Un mal nécessaire 


La calanque Sugiton tel que vous ne pourrez la voir en haute saison (photo par Axel)

La calanque Sugiton tel que vous ne pourrez la voir en haute saison (photo par Axel)

Aussi, pour qui le peut, les calanques se pratiquent hors saison. En mars il ne s’y trouve presque personne, en mai cela devient problématique (heureusement la plupart ne viennent là que pour se dorer au soleil – et les sentiers escarpés restent assez désertés pour pouvoir savourer l’esprit des lieux). En été c’est l’enfer !

 

Au-dessus de la calanque Sugiton (photo par Axel)

Au-dessus de la calanque Sugiton (photo par Axel)

Parcours

Mais assez de généralités et allons au col, puis au belvédère du Sugiton. Y pauser sur un petit promontoire de pierre tandis que filent dans le vent les martinets noirs ; et jouir d’une vue panoramique allant de l’archipel de Riou jusqu’aux falaises de Cassis. Puis plonger vers la calanque, passant sous l’ombre de la Falaise des toits. Prendre un bain de mer avant de grimper l’échelle de fer en direction du cap Sugiton. Ensuite, le passage s’il n’est pas périlleux, nécessite cependant un peu de mollet, à éviter pour qui est sujet au vertige – dans cette partie du périple on a parfois la surprise de croiser des olibrius en tong et short de bain, ceux-là même qu’il faut aller ensuite secourir et dont l’inconscience pousse parfois les autorités à fermer les sentiers … 

L'échelle (photo par Axel)


Sentier du Sugiton (photo par Axel)

Lorsqu'il est préférable de se laisser couler sur la pente (photo par Axel)

(Pour ceux qui ont FB : votre serviteur dans la pente !)


Mais rejoignons la calanque de Morgiou et son petit port. De là, empruntons la corniche du Renard, avant de gravir la crète Morgiou. Le sentier fait ensuite une courbe en U jusqu’au fortin de Morgiou, enfin ce qu’il en reste, une place forte presque confondu avec la rocaille. Puis descendons vers la mer vers la pointe de la voile, falaise abrute, et suivons l’anse située au-dessus de la grotte Cosquer. Alors pousser à l’extrême, jusqu’à la calanque de la triperie.

 

Vue depuis le cap Sugiton (Photo par Axel)

Anse de la Triperie (photo par Axel)

Port de Morgiou (photo par Axel)

La corniche du Renard (photo par Axel)

Le fortin (Photo par Axel)

De la grotte Coquer justement, dont l’entrée se situe aujourd’hui à 37 mètres sous les flots… Un épisode de l’émission Carbone 14 sur France-Culture en janvier de cette année lui fut consacrée… On y apprend, entre autres, que le site, déclaré en septembre 1991, ne contient pas moins de 550 représentations pariétales (peintures et gravures) dont les plus anciennes remontent à environ 27 000 ans - fréquentation de la grotte échelonnée sur 12 000 ans environs (de 27 000 à 15 000 – du gravettien au magdalénien).

Source : Office de la mer

Pour les représentions animales, l’espèce la plus courante sont les chevaux (84), suivis des bouquetins (34). En troisième position viennent les bisons et aurochs (28). Après les cerfs et les biches on a les phoques (14), particularité de la grotte Cosquer ainsi que quelques pingouins (4) et d’autres espèces encore ; un bestiaire très vaste ! 

Une réplique de la grotte Cosquer vient d’être inaugurée (4 juin) dans le bâtiment de la Villa Méditerranée à Marseille.

 


Ainsi, marchant sur le sentier des crêtes de Morgiou, on se trouve sur les traces des chasseurs-cueilleurs de la préhistoire qui parcouraient ces paysages magnifiques, avant que notre espèce ne se sédentarise. Certes, le niveau de la mer était alors beaucoup plus bas, le climat fort différent et les nuits plus pures. Mais l’on ne peut s’empêcher de rêver à la poussière du temps qui s’écoule. De ces époques reculées, étirées sur de millénaires aux accélérations modernes, avec les saccages commis à l’ère de l’anthropocène …

 

Vue depuis la crête Morgiou (Photo par Axel)

Mais reprenons nos pérégrinations méditerranéennes. Au reposoir en surplomb de l’anse de la Triperie, il est bon de savourer le fracas de flots, et boire la ligne d’horizon jusqu’à plus soif. Et, dans l'après-midi bien avancé, une fois reposés rebrousser chemin pour retrouver le col du Renard (86 m) et, dans un ultime effort, escalader la crète Morgiou et atteindre le Cancéou (222 m) sur une pente raide, dans la caillasse – peut-être la partie la plus éprouvante du parcours. Enfin dévaler la montagne, contournant le port de Morgiou, et remonter parmi les hommes, vers le point de départ.

 

Il y aurait tant encore à broder. Mais mieux vaut marcher … Marcher les sens en éveil.


Sur le chemin du retour ... (photo par Axel)

Petit détour pour voir au loin la calanque de Sorgiou (photo par Axel)




[1] Ces gens épris de performance, en tenue fluo, équipés comme des pros et équipés en général de bâtons qui s’entendent à des kilomètres.