Blogue Axel Evigiran

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La dispersion est, dit-on, l'ennemi des choses bien faites. Et quoi ? Dans ce monde de la spécialisation extrême, de l'utilitaire et du mesurable à outrance y aurait-il quelque mal à se perdre dans les labyrinthes de l'esprit dilettante ?


A la vérité, rien n’est plus savoureux que de muser parmi les sables du farniente, sans autre esprit que la propension au butinage, la légèreté sans objet prédéterminé.

Broutilles essentielles. Ratages propices aux heures languides...


29 mai 2019

Revenir à Carcassonne

Cité de Carcassonne (photo par Axel)

Si la nostalgie jette le plus souvent son ombre sur les paysages de nos jours d’avant, il arrive parfois qu’elle s’en vienne hanter aussi les vieilles pierres, ravivant les souvenirs enfouis sous les décombres des années… Là où l’histoire s’incarne…
Château comtal (Photo par Axel)
Et de filer sur les chemins de rondes de la cité de Carcassonne. Ombre immense posée au détour d’une colline en surplomb de la ville nouvelle. Et saisir parfois l’étrangeté qu’il y a à revisiter les quelques venelles criblées d’échoppes, ravivant les braises des ans révolus ; non pas le déroulé continu des événements, mais des instantanés pris ici ou là. Ces miettes d’une mémoire fragmentée ; en parties reconstruites ou fantasmées … Adossées aux photographies d’alors.
Dix années ce n’est presque rien et beaucoup à tout à la fois – question d’échelle. Ce n’est pas assez à l’aune d’une vie humaine pour avoir oublié une cité, un château, telle place ou tel enchevêtrement de péripéties, l’architecture ou la configuration d’un lieu hanté de spectres médiévaux, et dont le chant lancinant abreuve les livres que l’on aime avoir à portée de main. Mais c’est plus qu’assez pour mesurer le gouffre considérable, planté dans sa propre existence ; hier accompagné d’à peine deux adolescents, aujourd’hui à côtoyer deux adultes lancés sur le chaos de tous les possibles de leur propre chemin. Hier encore maritalement installé, inconscient de la tornade à venir et désormais pris en d’autres scénarios – quelques rides aussi au coin des yeux qu’on n’a pas vues venir ; un peu à la manière de ces épaisses couches de neige fondant goutte à goutte en fin de saison, sans que l’on s’en aperçoive véritablement. Avec la blancheur virginale du manteau blanc, usé jusqu’à l’épuisement et la dissolution finale…




Sur les remparts du château comtal (Photo par Axel)

Une source anonyme, « Histoire de la guerre des Cathares », relate la chronique d’une horreur allant de 1202 à 1219. Ecrite en langue romane par un auteur possiblement contemporain des événements qu’il rapporte.
Dès le 28 juillet 1209 les croisés assiègent Carcassonne. Leur armée a déjà perpétré le massacre de Béziers… Que dire de plus, sauf à citer de menus extraits du texte, espérant susciter l’envie de s’y perdre tout à fait ?

Et sur les éléments déclencheurs :
« Le Saint-Père lui donna pour le servir (au légat), tant de gentilshommes, parmi lesquels était un grand et noble homme appelé Pierre de Castelnau, son maître d’hôtel… Il arriva que Pierre de Castelnau eût, sur le sujet de cette hérésie, quelques paroles et disputes avec un serviteur et gentilhomme du comte Raimond ; et leur dispute alla si loin qu’à la fin le gentilhomme du comte Raimond, donna un coup épée à Pierre de Castelnau et le tua… Quand le légat vit qu’on avait ainsi tué l’un de ses hommes, il manda aussitôt le Saint-Père (qui) en fut si courroucé et mécontent qu’il fit partir des lettres pour ordonner la croisade… »
 
Tour d'époque romaine (photo par Axel)
Sur le massacre de Bézier :
« Voyant que force leur était de se défendre ou de mourir, ils prirent courage entre eux, et allèrent chacun s’armer du mieux qu’il pût ; quand ils furent armés, ils sortirent pour attaquer les assiégeants, et en sortant rencontrèrent un des croisés qui était venir courir jusque sur le pont de Béziers. Ils se jetèrent sur lui et le précipitèrent du pont dans la rivière. Quand l’armée des assiégeants le virent ainsi mort et jeté du pont, elle commença à se mettre en mouvement, tellement qu’elle faisait trembler la terre, et marcha droit à Béziers pour attaquer les ennemis qui venaient d’en sortir. Quand ceux de Béziers virent tout ce grand monde qui venait contre eux, ils se retirèrent dans leur ville, fermèrent et barricadèrent leurs portes… malgré tous les efforts de ceux de la ville … Ils entrèrent dans Béziers malgré toute la résistance… Là se fit le plus grand massacre qui ce fût jamais fait dans le monde entier ; car on n’épargna ni vieux ni jeunes, pas même les enfants qui tétaient… Tout fut passé au fil de l’épée, pas un seul n’en échappa. Ce meurtre et cette tuerie furent la plus grande pitié qu’on ait depuis vue et entendue. La ville fut pillée ; on mit le feu partout… » 
L’amour du prochain à la mode chrétienne, recette poussée à son extrémité ! Sans compter d’autres perfidies en légions dont il faudrait rendre compte…
Mais plutôt qu’un inventaire fastidieux, reprenons la phrase si vive et si juste de Lucrèce : « Tant la religion put conseiller de crimes ! »  

Musée du château comtal (photo par Axel)

Musée du château comtal (photo par Axel)

Musée du château comtal (photo par Axel)

Et de flâner dans les venelles de Carcassonne ; à laisser filer les heures indolentes



Les remparts de la cité de Carcassonne (phot par Axel)