Blogue Axel Evigiran

Blogue Axel Evigiran
La dispersion est, dit-on, l'ennemi des choses bien faites. Et quoi ? Dans ce monde de la spécialisation extrême, de l'utilitaire et du mesurable à outrance y aurait-il quelque mal à se perdre dans les labyrinthes de l'esprit dilettante ?


A la vérité, rien n’est plus savoureux que de muser parmi les sables du farniente, sans autre esprit que la propension au butinage, la légèreté sans objet prédéterminé.

Broutilles essentielles. Ratages propices aux heures languides...


20 janv. 2023

Le dernier voyage de Voltaire

Voltaire

Pour bien commencer l’année j’ai achevé la lecture de la considérable biographie de Voltaire commise par le regretté Raymond Trousson. Un livre qui impose le respect par son érudition. Et de m’arrêter ici sur les derniers jours et la mort du grand homme. 


Et de noter que « plus la fin approche, plus le clergé est aux aguets : le temps presse pour obtenir une rétractation (…) Le 18 mai, raconte ironiquement Condorcet, le curé de Saint-Sulpice est arrivé tout courant, pour tâcher d’avoir un corps et une âme »  il faut dire que « ni le clergé, ni le pouvoir ne souhaitent le scandale que causerait un refus de sépulture ».

Château de Fernay - Voltaire

Aussi le 30 mai 1778, « l’abbé Gaultier presse Voltaire de se mettre en règle avec l’Eglise : ‘Quel malheur, si vous mourriez sans avoir pensé à l’affaire de votre salut !’ (…) Selon les témoignages, lorsque Tersac lui demande s’il croit en Jésus-Christ, Voltaire répond : ‘Laissez-moi mourir en paix’. Selon Condorcet, il aurait dit : ‘Au nom de Dieu, Monsieur, ne me parlez pas de cet homme !’ – propos peut-être plus voltairiens ».


Voltaire mourra le soir même et le lendemain on pratique l’autopsie : « C’est un apothicaire, M. Mitouard, qui procède à l’embaumement du corps. Il obtient une relique, le cerveau, qu’il plonge dans un bocal d’esprit-de-vin. Le cœur revient Vilette. Puis, vers 11 heures du soir, s’exécute la navrante et macabre comédie. Un des plus grands écrivains de l’histoire sera transporté clandestinement, comme une marchandise de contrebande, pour un enterrement à la sauvette. Tout habillé, fardé, harnaché pour le tenir droit, un domestique assis à ses côtés, le cadavre est installé dans le carrosse de Voltaire, mais moins vraisemblables ».


Le lieu de destination ? L’abbaye cistercienne de Scellières. « Les carrosses sont arrivés le premier juin, en fin d’après-midi. Le corps est déposé dans un cercueil de bois blanc ». Il faut préciser ici que, si l’on en croit certaines rumeurs, « Mme Denis, lorsqu’on avait proposé un cercueil en plomb, s’est écriée : A quoi bon ? Cela couterait beaucoup d’argent. La légataire universelle se découvrait soudain le sens de l’économie ». 

D’ailleurs « Des bruits fâcheux courront sur la criminelle négligence de Mme Denis à l’égard de son oncle. Mme Du Deffand ne l’aimait pas, lui trouvait un air de ‘gaupe’ (…) ». A chacun de se faire une idée, mais « Reste que l’attitude de Mme Denis témoigne de son égoïsme et de fort peu d’attentions pour l’homme qui la chérit depuis 30 ans ». 


Cénotaphe du cœur de Voltaire

Et l’Eglise dans tout ça ? L’évêque de Troyes dépêche une interdiction d’inhumer. « Elle arrivera trop tard : l’impie reposait en terre consacrée ». Mais l’histoire ne s’arrête pas là. « Le 2 novembre 1789, l’Assemblée constituante avait décrété la sécularisation des biens ecclésiastiques, ce qui impliquait la mise en vente de l’abbaye de Scellières. Les restes du philosophe allaient-ils passer au plus offrant ? ». L’assemblée tranche en 1791 : Cela sera au panthéon que Voltaire sera inhumé !

Quant au cœur de Voltaire … « En 1779 Mme Denis cède Ferney à Villette. Ce dernier « fit élever une petite pyramide pour y déposer le cœur de Voltaire, avec cette inscription : son esprit est partout et son cœur est ici ». 




5 janv. 2023

De l'observation de la migration des oiseaux pélagiques, un jour de novembre

Sémaphore de Grand-Fort Philippe (photo par Axel)

Pour bien débuter l’année, je reviens ici sur le souvenir d’une journée de « sea watching » époustouflante au bout de la jetée de Grand-Fort-Philippe, dans le nord de la France. C’était à la mi-novembre.

Un temps idéal, avec un vent assez fort de nord-ouest (poussant donc les oiseaux pélagiques vers la côte). Une météo contrastée et plutôt fraiche, sans pluie annoncée (1). Le ciel est gris menaçant, criblé de minces éclaircies et confère au paysage une humeur dantesque … De quoi tisser la trame d’une journée épique ; le miroiseur tout à sa passion, bravant les éléments. A la merci du bon vouloir des migrateurs filant au sud. 

Migration des bernaches cravant (photo par Axel)

Migration des bernaches cravant (photo par Axel)

Migration des bernaches cravant (photo par Axel)

Les oiseaux se profilent sur l’horizon au nord, apparaissant loin, au ras des flots ou haut dans le concentré des nuages, au-dessus de la centrale nucléaire de Gravelines. Le premier observateur indique l’endroit où regarder, à l’aide de repères convenus. Cela donne : « catmarin, Bouée jaune », « harles huppé, bout de la jetée », « Des anatidés au-dessus du sémaphore … Des pilets. Ah, des souchets et des siffleurs aussi ! » ou encore « Là, là ! … juste au-dessus de nous … Vite ! Plongeon imbrin ! ». Bref, une véritable philosophie ornithologique.

Souvent il arrive que nous découvrions les oiseaux au dernier moment, des individus isolés, ou en tout petits groupes – et de ne pas tous les voir. Mais la frustration d’un instant se mue aussitôt en de nouveaux espoirs, vite comblés. 

Un grand cormoran accompagne les bernaches cravant (photo par Axel)

Plongeon imbrin (photo par Axel)

Canards pilets et souchets (photo par Axel)

Au final, ce ne furent pour moi pas moins de six nouvelles coches, ce qui est exceptionnel (2) ! Avec le mergule nain, la mouette pygmée, la macreuse brune, le labbe pomarin et deux espèces de plongeons : l’imbrin et l’arctique ! 

Mais ce fut aussi une journée exceptionnelle pour la migration des bernaches cravant – plusieurs milliers sont passées durant notre séance. Avec des oiseaux filant parfois haut dans le ciel en formation, sinon devant nous au ras des flot, ou juste au-dessus de nos têtes, à deux ou trois mètres d’altitude. Instants magiques à les presque pouvoir toucher de la main - les entendre fut émouvant (nous fîmes silence à leur passage) … 

Macreuses brunes (photo par Axel)

Mouettes pygmées (photo par Axel)


Ce fut au total plus de 40 espèces observées en mer. A l’observation proprement dite s’ajoute les clichés qui feront souvenir (permettant aussi de lever parfois l’ambiguïté sur une espèce vue). Certaines photographies relèvent sinon de la prouesse, du moins de la chance.

Il aura fallu saisir le Kairos. Mais quelle journée ! Et de rentrer chez soi, trempé et frigorifié, mais sourire aux lèvres, conscient d’avoir vécu un moment unique.


Formations de bernaches cravant (photo par Axel)

canards pilets, bernache cravant et canards siffleurs (photo par Axel)

Labbe parasite (photo par Axel)

Liste des espèces contactées :

  1. Bernache cravant (plusieurs milliers),
  2. Tadorne de Belon,
  3. Canard Colvert,
  4. Canard chipeau (un groupe d’une dizaine),
  5. Canard pilet (près d’un millier),
  6. Canard souchets (plusieurs centaines),
  7. Canard siffleur (plusieurs dizaines),
  8. Sarcelle d’hiver (plusieurs centaines),
  9. Fuligule milouinan/morillon (1 oiseau)
  10. Eider à duvet (3 mâles en éclipse) - Photographiés
  11. Macreuse noire (plusieurs centaines),
  12. Macreuse brune (4 mâles adultes) - Photographiés
  13. Garrot à œil d’or (3 inds dont 2 mâles adultes) - Photographiés
  14. Harle huppé (vingtaine d’oiseaux),
  15. Plongeon catmarin (plusieurs centaines),
  16. Plongeon arctique (une trentaine d’oiseaux, dont certains qui passent à courte distance et déterminés de manière certaine) – Photographiés
  17. Plongeon imbrin (2 oiseaux) – dont 1 photographié
  18. Grèbe huppé (un posé mais pas noté en migration),
  19. Fou de Bassan (plusieurs milliers),
  20. Grand cormoran (plusieurs dizaines),
  21. Cormoran huppé (1 oiseau qui se pose),
  22. Huîtrier pie (une dizaine),
  23. Grand gravelot (une centaine),
  24. Pluviers argentés (3 oiseaux),
  25. Pluvier doré (1 oiseau posé sur la digue),
  26. Vanneau huppé (une trentaine d’oiseaux qui passent en mer),
  27. Bécasseau sanderling (une dizaine),
  28. Bécasseau violet (2 oiseaux),
  29. Tournepierre à collier (2 oiseaux),
  30. Bécasseau variables (plusieurs centaines),
  31. Barge rousse (au moins un oiseau) – photographié
  32. Courlis cendrés (quelques dizaines),
  33. Labbe parasite (2 oiseaux),
  34. Labbe pomarin (2 juvs) – photographié,
  35. Mouette rieuse (plusieurs centaines en migration active),
  36. Goéland cendré (plusieurs centaines à un millier),
  37. Goéland argentés (argenteus et argentatus) (des centaines),
  38. Goéland leucophée (2 oiseaux de troisième hiver),
  39. Goéland pontique (1 oiseau H1) – photographié,
  40. Goéland brun (plusieurs dizaines) ; dont un oiseau H1 très sombre à queue bicolore pro fuscus – photographié.
  41. Mouette pygmée (des milliers),
  42. Mouette tridactyle (des centaines),
  43. Sterne caugek (1 oiseau),
  44. Mergule nain (3 oiseaux) – photographié,
  45. Guillemot de troïl (quelques rares individus),
  46. Pingouin torda (au moins 1 oiseau),
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(1) : Le réel démentira en début d’après-midi les pronostics météorologiques !
(2) : En général, c’est 1 à 3 coches l’an – et chaque année cela diminue. Forcément (sauf à entreprendre un voyage plus ou moins lointain) …