Blogue Axel Evigiran

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La dispersion est, dit-on, l'ennemi des choses bien faites. Et quoi ? Dans ce monde de la spécialisation extrême, de l'utilitaire et du mesurable à outrance y aurait-il quelque mal à se perdre dans les labyrinthes de l'esprit dilettante ?


A la vérité, rien n’est plus savoureux que de muser parmi les sables du farniente, sans autre esprit que la propension au butinage, la légèreté sans objet prédéterminé.

Broutilles essentielles. Ratages propices aux heures languides...


21 déc. 2020

La fin d’un monde : le calendrier maya et le calcul de votre date de naissance

Musée d'anthropologie de Mexico (Photo par Axel)

En cette période de la fin d’un monde, et tandis quelques hurluberlus investissent les pentes du Pech de Bugarach, plutôt que de sombrer dans l’hystérie apocalyptique, ou, tout à rebours,  le dédain blasé, il m’est apparu plus ludique d’évoquer ce fameux calendrier maya au travers d’un petit amusement consistant à calculer et traduire sa date de naissance - ou tout autre événement du choix de chacun - en maya .

Un peu d’histoire est ici nécessaire.

Mais évoquons tout d’abord la notion de temps.

Si, selon les traditions, les civilisations optèrent soit pour une conception du temps linéaire, soit plutôt pour une conception cyclique, puisque de temps il s’agit, encore faut-il s’entendre sur ce que recouvre ce mot fort connoté. Etienne Klein, dans son excellent ouvrage Les tactiques de Chronos, pose les bases de la réflexion : « Le temps est seulement ce qui permet qu'il y ait des durées. Il est cette machine à produire en permanence de nouveaux instants. Il fabrique la succession d'instants et nous ne percevons en réalité que ses effets ».


Palenque (Photo par Axel)

Ainsi, chez les grecs anciens, avec Héraclite, tout coule. Mais alors, s’interroge le physicien « si le temps était un fleuve, quel serait son « lit » ? Par rapport à quoi s'écoulerait-il ? Que seraient ses « berges ? ». Du côté Parménide, a contrario, le mouvement est pensé comme une succession de positions fixes. Auquel cas, conclut E. Klein, « tout devait pouvoir être décrit à partir d'un seul concept d'immobilité. Le devenir n'était donc qu'une illusion relevant du « non être ».

Si dans les civilisations premières, basées sur l’observation de la nature les conceptions cycliques du temps dominent, avec les physiciens nous entrons dans un temps linéaire, irréversible, et respectant le principe de causalité.

Reste le temps psychologique, le temps tel que perçu, mais c’est un autre débat.

Le calendrier dans lequel nous baignons, et qui nous apparaît si familier, en est réalité complexe. C’est qu’il conjugue tout à la fois des notions de cycles et de linéarité. Cyclique il l’est à travers la répétition des semaines, des mois et des saisons. Mais il est aussi inscrit dans la durée, avec une flèche du temps irréversible. Enfin, nous comptons le temps à partir d’un instant zéro choisit arbitrairement.

Ce système de calendrier, en son principe, est comparable à celui des mayas. Dans les grandes lignes les différences sont de deux ordres : d’une part les mayas comptaient de 20 en 20 (au lieu de 10 en 10 pour nous). D’autre part ils avaient deux calendriers imbriqués. Un calendrier profane, dit « vague » et un calendrier cérémoniel.

Aujourd’hui, les études archéologiques et historiques permettent d’affirmer, d’une part, que « l’intérêt des Mayas pour les dates qu’ils inscrivaient sur leurs stèles ne traduisait pas un culte du temps, mais exprimait le souci d’inscrire dans la durée le règne de leurs souverains. » (1); d’autre part qu’ils n’étaient pas astronomes mais astrologues et que « la complexité qui résulte de la combinatoire de multiples cycles est fonctionnelle ; elle permet au devin de choisir entre une multitude d’alternatives, les unes favorables, les autres non, et de contrarier les destins trop adverses ».



Entrons dans le vif du sujet

Les mayas avaient donc deux calendriers dont l’origine est à rechercher chez les Olmèques (base commune de tous les calendriers méso-américains)

Le Tzolkin

Le premier de ces deux calendriers est un calendrier divinatoire et cérémonie, appelé tzolkin. Sa durée est de 260 jours.

S’y combinent 20 noms de jours (imix, ik, etc…) aux chiffres allant de 1 à 13.

Dans ce système, le même jour, ne réapparaît qu’au terme de 13 x20 jours.


La Haab

Le second calendrier, nommé haab, est un cycle solaire dit « vague » qui comprend 360 jours (18 mois de 20 jours) + 5 jours, souvent considérés comme néfastes.


Inscription des jours dans les deux calendriers

Un jour est défini à la fois par sa position dans le tzolkin et dans le haab.

Les cycles de tzolkin et du haab se combinent sur le modèle d’une roue dentée imbriquées et il faut attendre 52 années vagues ou 73 cycles cérémoniels pour que la désignation d’un jour dans les deux cycles se répètent : c’est la roue du calendrier. 

(Pour déduire ces deux nombres – 52  et 73 – il faut trouver le plus petit commun multiple, ici 5. 365 / 5 = 73 et 260/5 = 52)



Le compte long

Afin de pouvoir inscrire leur histoire dans la durée les mayas ont inventé le compte long (ils comptent de 20 en 20 et non de 10 en 10). Ainsi le décompte des jours se défini en cinq unités de comptes distinctes, multiples de 20


1 Baktun = 144 000 jours

1 Katun =  7200 jours (soit près de 400 de nos années)

1 Tun =  360 jours

1 Uinal  = 20 jours

1 Kin = 1 jour


Nota : des unités de temps encore supérieures au Baktun ont été découvertes. Ainsi  le pictun qui fait 20 baktuns, soit près de 7885 de nos années. On a même identifié l’alautun, soit 8000 pictuns (unité qui frise l’inconcevable)


Point de départ du grand cycle 

Cette date fameuse, dans le compte long, s’écrit : 13.0.0.0.0 4 ahau 18 cumku.

(4 ahau est le jour de ce point de départ dans le calendrier rituel et 8 cumku, le même jour représenté dans le calendrier « vague »)

La correspondance dans notre calendrier est le 11 août 3114 av. J.-C (date maya : 4 ahau 8 cumuk)

Il est probable que cette date corresponde symboliquement à une nouvelle création du monde ( 13 baktuns = 1872 000 jours, soit 5124,37 années)

Ce point de départ du grand cycle (qui est encore le nôtre jusqu’au 21 ou 233 décembre 2012, selon les comptes), établi au jour mythique du 4 ahau 8 cumku de l’an 3114 av JC correspond à une antiquité très supérieure à toute présence maya et pour l’heure n’est relié à aucun événement.


Exemple du calcul d’une date dans le compte long

9.17.0.0.0 13 ahau 18 cmuku  signifie que depuis le point 0 se sont écoulés 9 baktuns (9 x 144 000 jours) 17 katuns (17x 7200 jours) 0 (le reste) pour atteindre le jour donné, soit le 13 ahau 18 cumku.


Temps linéaire et  temps cyclique

Ainsi se conjugue, dans l’imbrication des deux calendriers maya, le Tzolkin et le Haab, avec cette date mythique de départ du Grand Cycle, à la fois un temps linéaire et un temps cyclique.

Ce grand cycle long de 1872 000 jours ou 5124,3661 années apparaît comme ainsi une sorte de compromis entre temps linéaire (parce assez long) et temps cyclique (parce que durée finie).


Calculer sa date de naissance en maya

Date choisie : 12 mars 1993

Tout d’abord il faut convertir la date choisie en son équivalent en nombre de jours du calendrier julien, en usage jusqu’à l’adoption de notre calendrier actuel.

Facteur corrélation : 01 janvier 2000  = 2 451 545 jours

A ce chiffre, pour atteindre le 12 mars 1993, il faut retrancher le nombre de jours écoulés avant le référentiel du 01 janvier 2000, donc  :

Oter 7 x365 pour arriver au 01 01 1993 puis ajouter 1 jour (année bissextile 1996) et enfin ajouter 71 (le 12 mars est le 71ième jour de l’année).

Le résultat est : 2 451 545 + 1 + 73 – (7x265) =   2 449 064

[Pour ceux qui préfèrent directement aller au résultat, il existe sur la toile des calculateurs automatiques, où il suffit de saisir la date que l’on souhaite obtenir en calendrier julien – d’un calculateur l’autre il peut y avoir quelques jours d’écart]

Maintenant convertissons notre résultat en maya :

On enlève à ce chiffre une constante de corrélation de 584 283 jours et ce total est divisé par chaque unité de temps maya

2 449 064 – 584 283 =  1 864 761 


Baktun : 144 000 jours

Katun : 7200 jours

Tun : 360 jours

Uinal : 20 jours

Kin : 1


Ici donc 1 864 761 / 144 000 = 12,97

(reste 1 864 761 – 12 x 144 000 = 136 761)

On obtient : 12 baktum


136 761 / 7200 = 19

(reste 136 761 – 18 x 7200 = 7161)

On obtient : 18 katun


7161 / 360 = 19,89

(reste 7161 – 19x360 = 321)

On obtient 19 tun


321 / 20 = 16,05

(reste 321 – 16x20 = 1)

On obtient 16 uinal et 1 kin


D’ou la date 12.18.19.16.1


Chichen Itza (photopar Axel)

Les calculs des jours rituels de l’année solaire s’obtiennent par des divisions par 13 20 et 365



Bon le résultat peut ici également directement s’obtenir via un calculateur, mais il est toujours bon de comprendre le mécanisme, la méthodologie, qui y amène les écarts proviennent des arrondis). 

_____________________

(1) Pour ce billet je me suis largement adossé sur deux excellent ouvrages consacrés aux mayas. D’une part, Les Mayas, avec des textes d’Eric Taladoire paru aux éditions Chêne. D’autre part un guide des Belles Lettres intitulé également, avec originalité, Les mayas, et écrit par Claude-François Baudez.

1 déc. 2020

Montaigne, par temps de Covid

 

Lecture .... (photo par Axel)

Me voici quelques années déjà avec les Essais du sieur de Montaigne résolument à portée de main ; allant mon rythme dans cette lecture délicieuse, porté par le sentiment d’avoir trouvé là un bon compagnon qui me cause par-dessus l’épaule. De l’abandonner parfois des semaines. Mais toujours y revenir.

Suivant sa leçon, je vis du jour à la journée, ne cherchant « aux livres qu’à m’y donner du plaisir par un honnête amusement »[1]. Une conversation dilettante, en bonne compagnie.

Et là, profitant du crépuscule, de finir le dernier chapitre du livre II où il y malmène l’engeance des médecins de son temps. Qu’on se rassure, ainsi qu’il le confesse à Madame de Duras, à la fin du chapitre « … je n’eusse pas osé remuer si hardiment les mystères de la médecine, attendu le crédit que vous et tant d’autres lui donnez, si je n’y eusse été acheminé par ses auteurs mêmes. Je crois qu’ils n’en ont que deux anciens Latins, Pline et Celsus. Si vous les voyez quelque jour, vous trouverez qu’ils parlent bien plus durement à leur art, que je ne fais : je ne fais que la pincer, ils l’égorgent »[2].

L’effet produit par cette lecture est singulier, tant il sonne juste par ces temps de Covid et de la guerre des experts proclamés. Car Montaigne est inactuel. C’est-à-dire actuel par son atemporalité - touchant à quelques chose de l’universelle condition des hommes. Et s’il affirme : « La santé je l’ai libre et entière, sans règle, et sans autre discipline, que ma coutume et de mon plaisir », c’est que, selon lui, « les médecins ne se contentent point d’avoir la maladie en gouvernement, ils rendent la santé malade, pour garder qu’on ne puisse en aucune saison échapper leur autorité. D’une santé constante et entière, n’en tirent-ils pas l’argument d’une grande maladie à venir ? » Comment lui donner tort ? La vie, on le sait, est mortelle !


Vue depuis la tour de Montaigne (photo par Axel)

Et Montaigne, du dedans de sa tour, de décrire par le menu, au fil des pages, toutes les contradictions, proférés avec moult assurance par maîtres de cette science pour un même mal - en particulier de la Gravelle, qui l’accompagna des années ; un plaisant catalogue des ordonnances et prescriptions aux antipodes les unes des autres – ce qui n’est pas sans faire songer aux débats récents sur le port du masque ou la Chloroquine par exemple.

Si aujourd’hui ces discours quant aux bons remèdes et manières de se tenir lors d’une épidémie, nous émeuvent tant, au lieu de nous trouver tranquilles, suscitant d’affreux débats et autres vains pugilats, c’est que, nous dit Montaigne « c’est la crainte de la mort et de la douleur, l’impatience du mal, une furieuse et indiscrète soif de la guérison, qui nous aveugle ainsi : c’est pure lâcheté qui nous rend cette croyance si molle et maniable ». Pire, désormais ce n’est plus même la maladie tombée sur nos bronches qui nous retourne, mais juste la peur de la voir surgir au coin de la rue. Ceci expliquant sans doute qu’il nous arrive de croiser, le soir dans une rue déserte ou dans les bois, au milieu de nulle part, tel promeneur harnaché de son masque et qui, sur votre passage, s’empêtre dans un détour considérable…

« Ce fut me semble Périclès, lequel était enquis, comme il se portait : vous le pouvez (dit-il) juger par là : montrant des amulettes, qu’il avait attaché au cou et au bras. Il voulait inférer, qu’il était bien malade, puisqu’il en était venu jusques là, d’avoir recours à choses si vaines, et de s’être laissé équiper en cette façon ».

Montaigne à sa manière nous donne leçon de juste mesure. Ni crédulité ni désinvolture. Mais une invite à exercer son esprit critique. Et pour finir d’une boutade : « Un médecin vantait à Nicoclès, son art être de grande autorité : vraiment c’est sûr, dit Nicoclès, qui peut tuer impunément tant de gens ».

Vue de la tour de Montaigne (photo par Axel)


[1] Essais, Livre II, Chapitre X (Des livres)

[2] Essais, Livre II, Chapitre XXXVII (De la ressemblance des enfants aux pères)