Blogue Axel Evigiran

Blogue Axel Evigiran
La dispersion est, dit-on, l'ennemi des choses bien faites. Et quoi ? Dans ce monde de la spécialisation extrême, de l'utilitaire et du mesurable à outrance y aurait-il quelque mal à se perdre dans les labyrinthes de l'esprit dilettante ?


A la vérité, rien n’est plus savoureux que de muser parmi les sables du farniente, sans autre esprit que la propension au butinage, la légèreté sans objet prédéterminé.

Broutilles essentielles. Ratages propices aux heures languides...


27 juil. 2018

Dans la vallée des temples d’Agrigente...

Castor & Pollux - Agrigente (photo par Axel)
[Cliquer sur la légende pour la photo en grand format]

Sarabande de dieux assoupis ; Zeus Olympien sous son linceul de pierre…

Lancé sous le soleil depuis Pozzalo à un rythme nonchalant, dépasser Gela dont les restes antiques ont succombés sous l’industrialisation ; et de penser à Eschyle, ce tragédien grec dont le trépas dans la cité sicilienne remonte en 456 av JC ; une mort assez éloignée des canons usuels de la tragédie, puisque l’auteur présumé du « Prométhée enchainé » succomba au choc d’une tortue reçue sur son crâne lisse comme un cailloux. L’animal avait été lâché par un rapace, peut-être un Gypaète barbu, aujourd’hui disparu de l’île, un aigle de Bonelli ou encore un vautour percnoptère. Qui pour savoir ? Un oiseau possiblement en migration qui, selon la légende, voulant trouver pitance fracassa les espoirs de désigner un autre astéroïde au nom[1] du plus ancien des trois tragiques grecs[2]
.

Mais les kilomètres défilent et voilà que la Valle dei Templi, surgit d’un coup au détour des collines, en surplomb de la route côtière qui s’est faite belle pour les derniers kilomètres ; un tapis aux allures d’allée ombragée située à quelques encablures de la maison natale de Pirandello 
Le mois de mai étire son ruban d’indolence sur la « La plus belle des cités mortelles »[3], avec les colonnes du temple d’Héra ou de Junon, selon nos préférences[4], qui se découpent droit au-devant, fières sur le ciel, toisant de haut le visiteur. Car plutôt que de vallée, cette langue aux parures antiques, campe sur un promontoire entre la mer et la ville contemporaine ; une ligne de crète s’abaissant jusqu’aux portes en ruine, non loin du jardin de la Koymbetra.


Télamon couché (photo par Axel)
[Cliquer sur la légende pour photo en grand format]
La ville antique d’Agrigente fut fondée aux environs de 580 av JC par un aéropage de colons Rhodiens et Crétois installés à Gela ; Du rocher de Lindos au Dédale – Cléobule et le Minotaure …  A cette même époque, Thales de Milet (645 – 527 av JC), un autre des sept sages de la Grèce antique, dont la mort a aussi son originalité, s’adonnait au calcul de la pyramide de Khéops et prédisait une éclipse.
De quoi camper une époque.
L’un des anagrammes d’Agrigente est « égratigné ». Et la ville le fut bien des fois au cours de son histoire mouvementée. Heurs et malheurs dans laquelle s’inscrit le destin des temples de l’Akragas des grecs, ou l’Agrigentum des romains.


Temple d'Héraclès - Agrigente (photo par Axel)
[Cliquer sur la légende pour photo en grand format]
Lorsque l’on songe à Agrigente, vient aussitôt en tête le nom d’Empédocle (vers 490- 435 av JC), facétieux présocratique dont la mort est aussi selon la tradition fort rocambolesque…
L’individu, au-delà de ses excentricités, avait apparemment une haute idée de sa valeur, n’hésitant pas à claironner des envolées du style : « Moi qui suis pour vous un dieu immortel, non plus un mortel… ». Aujourd’hui on dirait que l’homme avait du mal à entrer dans ses sandales. Eh bien une sandale, voilà l’unique vestige matériel qu’il laissera à la postérité, après avoir disparu sur le bord de la bouche de l’Etna. Accident ou chute volontaire, ce qui est sûr c’est que le philosophe était obsédé par le feu. En guise d’hommage, sans doute, le volcan recrachera ainsi pour toute relique l’une de ses chausses de bronze.
Voilà pour ce fervent défenseur de la démocratie, et capable de tuer en son nom.

Venons-en au chapelet des temples, posés là depuis 25 siècles en enfilade, parallèlement au rivage de la Mare Nostrum alanguie à un mile marin au sud. Et de revêtir nos toges mentales pour parcourir les lieux du ponant au levant ; de la base au sommet du promontoire où furent semés ces vigies de pierre. Du temple de Castor et Pollux au temple d’Héra donc…

Flâner tout d’abord parmi les tambours des colonnes effondrées du temple dit « L », daté du cinquième siècle av JC. Ici, rien n’est debout, ce qui n’ôte pas une once au plaisir de la rêverie. Pourquoi « L »[5] ? Nous n’en saurons rien – et peu importe au fond ; les vertèbres du temple de la divinité inconnue peu bien garder son secret.
De là contempler Castor et Pollux, encore dénommé temple des Dioscures, ces jeunes garçons fils de Zeus et Léda. Le dompteur de chevaux et le pugiliste, selon l’Illiade… Sur ce bâtiment quelques colonnes d’angle furent relevées en 1836, non sans causer polémique, les restes de la corniche provenant d’un autre temple – Une greffe qui néanmoins entretien le goût moderne, sinon romantique, pour les ruines.  Aux spécialistes de s’écharper sur le bien-fondé ou non d’une telle restauration[6].

Filons ensuite sur le fil des éboulis vers le temple de Zeus Olympien, construit après la victoire sur les carthaginois en 480 av JC. Difficile d’imaginer aujourd’hui la monumentalité du plus grandiose des temples de l’antiquité parmi ceux dédiés à Zeus. Pour s’en donner une vague idée, imaginons une immense base rectangulaire de plus de 100 mètres de longs pour 50 de large ; un temple doté de demi-colonnes de presque 17 mètres de hauteur, avec les inter-colonnes occupées par des télamons, variantes masculines de la cariatide hauts de plus de sept mètres.
La reproduction de l’un de ces colosses, repose aujourd’hui allongée au pied des marches du sanctuaire. Impassible, ou presque, aux usures du temps.

Gravissant la colline, arrivons alors sous le soleil de midi au temple d’Héraclès, dont neuf colonnes, telles les restes d’un navire en perdition, se dressent encore alignées vers l’est. Il serait d’ailleurs plus juste de dire qu’elles furent remises sur pied en 1922. Précisons qu’elles sont hautes de 10 mètres pour un diamètre de 2,2 mètres – de quoi satisfaire les amoureux des chiffres, tant il est vrai que la poésie s’amourache parfois du nombre. Et d’ajouter que les informations détaillées reprises ici, furent glanées pour l’essentiel dans un excellent petit opus commis par un certain Giuseppe Di Giovanni[7], livret qu’on préférera aux publications plus récentes, ostensiblement plus ternes (et plus chères).
A noter qu’Héraclès était la divinité la plus honorée en Sicile et que les habitants d’Agrigente, l’invoquaient « pour être libérés des mauvais rêves et des pensées érotiques »[8] … Pas sûr qu’il faille se défaire de ces dernière.


Temple de la Concorde, Agringente (photo par Axel)
[Cliquer sur la légende pour photo en grand format]
L’ascension nous conduit ensuite en pente douce au temple dit de la Concorde, le mieux conservé du site. Il fut érigé aux alentours de 430 av JC et doit son nom à une inscription latine retrouvée in situ. Ce « Concordia », n’avait évidemment rien à voir avec la divinité révérée en ces lieux – encore un sanctuaire dévolu à une créature passée dans l’ombre des siècles …
Converti en basilique chrétienne au VIe siècle de notre ère, le temple retrouvera son aspect original après sa restauration en 1743, l’année de sa mise dans le registre des monuments nationaux.
D’une longueur approximative de 42 mètres sur 20 de large, il était composé de trois pièces : Le naos, cœur du lieu et véritable demeure de la divinité ; ensuite une antichambre à deux colonnes, placée au-devant du naos ; sur l’arrière enfin se trouvait un autre vestibule servant à la conservation des trésors, des offrandes votives ainsi que les archives du temple.

A déambuler ainsi, parmi les vestiges, remontant vers l’est, on ne manquera pas de contempler à bâbord sur les hauteurs la ville moderne étirée sur la ligne d’horizon ; le bourdonnement infatigable de la vie comme elle va, tandis qu’à tribord se déroulent les niches de la nécropole paléochrétienne. Ce contraste nous rappelle, comme s’il fût nécessaire, que tout passe. « Rien de nouveau sous le soleil ».
Situées dans les hypogées de la Villa Aurea, havre de verdure planté à mi-chemin entre le temple de la Concorde et celui d’Héra, et qui fut la propriété d’un ancien officier de la marine anglaise[9] fasciné par les ruines de la Vallée des Temples, les niches de la nécropole portent aussi le nom de « grottes Fregapane ». Elles sont datées du IVe siècle de notre ère et criblent la muraille de l’ancienne cité.
Laissons les morts reposer.


Nécropole paléochrétienne, Agrigente (Photo par Axel)
[Cliquer sur la légende pour photo en grand format]

Et arriver enfin au temple d’Héra, dressé tout à la proue du vaisseau de pierre que constitue le promontoire de la Valle dei Templi d’Agrigente. Là où Caspar David Friedrich drapa en majesté les ruines de ses pinceaux, sans cependant y vouloir mettre les pieds…
Ce temple dorique, érigé vers 450 av JC, brûlé par les carthaginois, puis reconstruit par les romains au premier siècle avant notre ère, fera l’objet de plusieurs représentations picturales. En la matière il est loisible de préférer à la touche à la fois desséchée et un peu convenue du romantique du XIXe, le bucolique et vivant « Paysage avec ruines de temples en Sicile » du néoclassique duXVIIIe, Jacob Philipp Hackert. A chacun de faire son choix …
Un mot enfin du rituel pratiqué dans ce temple : « … une fois terminé le bain purificateur dans les eaux de la rivière sacrée Akragas, les époux offraient à Héra, protectrice du mariage, une brebis dépouillée de ses viscères. La blancheur de l’animal symbolisait la douceur qui devait unir les deux époux. Plutarque nous rapporte dans ses récits, qu’avant d’immoler la bête, on l’aspergeait d’eau froide : si elle tremblait, on reportait la cérémonie à plus tard… »[10]

« Tous les fleuves vont à la mer et la mer n’est pas remplie »
(Ecclésiaste) 


Temple d'Héra (photo par Axel)
[Cliquer sur la légende pour photo en grand format]

Vue sur la ville moderne d'Agrigente (photo par Axel)
[Cliquer sur la légende pour photo en grand format]

Parmi les tambours de colonnes du temple "L", d'Agrigente (photo par Axel)
[Cliquer sur la légende pour photo en grand format]

Mais il est temps de rebrousser ; suivre la fuite du soleil et retrouver les langueurs des soirs en chaleur.
La huppe Fasciée et la mélodie de la fauvette mélanocéphale.



[1] (2876) Eschyle est un petit astéroïde de la ceinture d'astéroïdes, dans le Système solaire.
[2] Les autres étant Sophocle et Euripide.
[3] Pindare
[4] Pour ma part j’ai choisi sans la moindre hésitation, entre les dénominations grecques ou latines.
[5] On peut supposer, que par manque d’imagination, ce L signifie juste qu’il s’agit là de la ruine notable numéro 12 du site.
[6] Pensons à cet égard à la restauration du palais de Minos à Cnossos, par Sir Arthur Evans. Fallait-il la commettre ? Le débat est ouvert.
[7] « Déjà inspecteur honoraire des Biens Archéologiques ». J’aime beaucoup ce « déjà », à prendre dans le sens qui nous convient. Il n’y a pas de nom d’éditeur à ce modique ouvrage (4 €) fort bien fait. Son titre : « La Vallée des Temples, La vallée la plus sacrée du monde » Là encore le superlatif fait délice !
[8] Tiré du livret (voir note 6)
[9] Alexander Hardcastle, « archéologue dilettante » …. (25 ottobre 1872 – Agrigento, 27 giugno 1933) è stato un mecenate, archeologo dilettante …
[10] Tiré du livret de Giuseppe Di Giovanni.