Blogue Axel Evigiran

Blogue Axel Evigiran
La dispersion est, dit-on, l'ennemi des choses bien faites. Et quoi ? Dans ce monde de la spécialisation extrême, de l'utilitaire et du mesurable à outrance y aurait-il quelque mal à se perdre dans les labyrinthes de l'esprit dilettante ?


A la vérité, rien n’est plus savoureux que de muser parmi les sables du farniente, sans autre esprit que la propension au butinage, la légèreté sans objet prédéterminé.

Broutilles essentielles. Ratages propices aux heures languides...


24 déc. 2014

Humeur de l’instant – Radio waves & the Chameleons

Nostalgie gustative... 
Une image sans rapport aucun avec le billet qui suit ; ou presque...
Vin tiré de ma réserve, cru de l'année de naissance de ma fille.
Avec la bénédiction d'Anubis.
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A courir l’esprit s’échappe… Et lorsque la musique se mêle aux chants des oiseaux, il arrive que le voyage prenne des allures d’épopées intérieures ; entre nostalgie et contentement du présent – saveur d’un matin gris et silencieux, loin des foules ; un moment où le corps respire, se découvre et se révèle…

La mémoire se cristallise alors, anime de vieux films ; ces réminiscences de jadis – théâtre d’ombres éparses que l’on recoud de son mieux ; et de songer à cette époque où nous encombrions les ondes le dimanche midi, à l’heure de l’apéro. C’était avec un ami d’enfance – une belle amitié préservée aujourd’hui encore, et qui dans l’adversité de septembre se révéla si précieuse … Cela va faire trente ans bientôt… Nous animions avec constance une émission consacrée à la New Wave – époque de radios libres, dont on voit ce qu’il en est advenu (la toile prend même tournure…)

Il nous est arrivé à cette époque de recevoir un groupe que nous admirions beaucoup. Nous n’en croyions pas nos yeux – il en faut peu pour s’émouvoir à cet âge-là… Les images sont restées nettes : le manager avec sa petite flasque d’alcool fort ; les membres de cette formation, au final presque aussi impressionnés que nous par les micros… Nous avions entendu que leurs mélodies avaient plu à Sharon Stone, ce qui ajoutait encore au mystère, ou plutôt au merveilleux de la situation… Cette formation était « Trisomie 21 » ; ils faisaient alors la promotion de leur opus « Wait and dance » ; sorti juste après l’album  qui contenait « La fête triste »…

Nous écoutions aussi à cette époque, dans des ambiances nettement moins synthétiques, d’autres écorchés vifs ; ainsi The chameleons… Et c’est ce matin, avec une belle reprise d’un de leur titre, arrivé par mégarde au travers de mes conduits auditifs, que ces flots d’un passé oublieux se sont synchronisés sur mes foulées…


Le titre original, joué live :



Et la reprise, par Jesus on Extasy…


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One cold damp evening
The world stood still
I watched as I held my breath 
A silhouette I thought I knew
Came through
And someone spoke to me
Whispered in my ear
This fantasy's for you
Fantasies are "in" this year

My whole life passed before my eyes
I thought
What they say is true
I shed my skin and my disguise
And cold, numb and naked
I emerged from my cocoon
And a half remembered tune
Played softly in my head

Then he turned smiling
And said
I realise a miracle is due
I dedicate this melody to you
But is this the stuff dreams are made of?
If this is the stuff dreams are made of
No wonder I feel like I'm floating on air
Everywhere 

It feels like I'm everywhere
It's like you fail to make the connection
You know how vital it is
Or when something slips through your fingers
You know how precious it is
Well you reach the point where you know
It's only your second skin

Someone's banging on my door


Notes by Mark - The song went through two titles before it finally became 'Second Skin.' It started it's life as 'Dreams In Celluloid' and then became 'Films' and had different lyrics, dealing with the immortality of cinema stars. It evolved after I read a book about the study of 'Near Death Experiences' and subsequently dealt with another form of immortality altogether.

7 déc. 2014

La conversation scientifique d’Etienne Klein: Des univers multiples, avec Aurélien Barreau

Depuis la rentrée de septembre, en fin d’après-midi le samedi, Etienne Klein s’est vu octroyer une belle plage horaire, pour de roboratives conversation scientifiques ; toujours passionnantes, doctes mais sans jargonnages incompréhensibles aux non-spécialistes. Des causeries parfois légèrement décalées pour le plus grand plaisir de l’auditeur (voir par exemple l’émission avec Alexandre Hastier).

Les sujets traités sont fort variés ; de la cosmologie à la philosophie de sciences, passant par la conscience animale, ou encore les voyages dans la notion de temps (voir à ce propos l’incontournable essai d’EK, « Les tactiques de Chronos ». Quant aux invités, ils ne pas toujours des scientifiques, loin s’en faut, et cela ouvre à des richesses et à des décalages que ne permettraient pas, sur certains sujet, une discussion avec un expert ayant, comme on dit d’ordinaire, trop le nez dans le guidon.

Passant, la dernière émission en date, écoutée ce matin tout élaborant un plat dominical adapté à la météo des grands nord de France, traitant des liens entre philosophie et sciences, est une merveille. L’invité en était Heinz Wismann – et sa thèse sur Démocrite est stimulante. Un moment privilégié ayant permis à mon esprit de vagabonder du côté du contrefort du pays des loups, dans le midi, là où une ami chère me réapprend à écouter des musiques jusqu’alors négligées.

Au-delà de l’aparté, n’oublions pas enfin les fameux anagrammes dont Etienne Klein s’est fait le maître incontesté ; loin de l’anecdotique ou du ludique, ils participent véritablement, selon mon goût, à un éclairage singulier, à une autre vision du réel des mots que nous aurions tort de prendre par-dessus la jambe…. Comme : le multivers à mille vertus (l’anagramme de : le multivers est mille vertus).



Mais revenons au sujet de ce billet : l’émission du 29 novembre dernier traitait des multivers, sujet fascinant et  qui, je le concède volontiers, atomisant le principe anthropique fort dans lequel se sont fourvoyés tant d’esprits en mal de principes organisateurs, à toutes mes sympathies.

Sur ce principe anthropique fort, il n’est qu’à lire l’entretien du physicien Trinh Xuan Thuan, repris dans un ouvrage collectif en forme de question, « Le monde s’est-il crée tout seul ? », pour se rendre compte à quel point le désir de croire à une intentionnalité de la nature, bref à Dieu vu comme ajusteur de constantes physiques, conduit à des court-circuit de la pensée. Car ne nous y trompons pas, pour les défenseurs de ces chimères, l’objet est bien de remettre l’homme à la place première dans l’univers « non pas au centre physique de l’univers, mais étant la raison même pour laquelle il a été conçu »

La théorie des univers multiples inflige ainsi aux insignifiantes créatures que nous sommes une nouvelle blessure narcissique.

Qui pouvait le mieux venir discourir sur ces « chambres à bulles » que semblent être ces univers multiples qu’Aurélien Barrau.

A l’érudition limpide et la capacité à la vulgarisation (au sens le plus noble du terme) d’une matière fort complexe, se double un caractère original ; une langue très belle aussi – un plaisir rare d’écoute… Qui m’aura au passage aussitôt incité à me procurer « Des univers multiples – A l’aube d’une nouvelle cosmologie », paru chez Dunod cet automne…

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Saisi au vol durant l’émission :
« Le multivers en tant que tel n’est pas une hypothèse. Si c’était une hypothèse ça serait en effet une hypothèse ad hoc relativement échevelée et sans grandes conséquences. Ce qui est intéressant c’est que le multivers est au contraire une conséquence. Une conséquence de quoi ? Par exemple de l’inflation et de la théorie des cordes. Mais l’inflation et la théorie des cordes sont des théories tout à fait standards qui peuvent être testées dans notre univers, ici et maintenant ».


« … On se demande pourquoi les constantes sont si extraordinairement adaptées à l’existence de la complexité en général, et de la vie en particulier. Et je vois trois réponses possibles… (Car) si n’importe laquelle des constantes fondamentales de la physique était différente, il est très probable que notre univers serait morne (gaz de photon ou d’autres particules, sans structure, sans chimie, sans atomes, et donc sans intérêt). Donc trois solutions possibles

-          Soit on a eu une chance infinie, c’est-à-dire que dans le coup de dé initial, les lois de la physique ont été sélectionnées sur cette solution hautement improbable permettant l’émergence du monde…. C’est possible mais peu convaincant.

-          Soit, et c’est l’hypothèse souvent dérangeante du dessein intelligent suivant laquelle Dieu, pour ne pas le nommer, aurait orienté l’évolution de l’univers pour permettre l’existence de la vie, et bien sûr de l’homme ; ce qui est un retour à une vision anthropocentrée, non seulement théologique, mais aussi téléologique, c’est-à-dire finaliste – explication possible mais qui n’est clairement pas scientifique… 
-          La troisième hypothèse est celle du multivers. C’est-à-dire que si on joue une fois au loto on a toutes les chances de perdre. Mais si on joue une infinité de fois au loto on est sûr de gagner…. »


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(Voir également ce billet : une vieille émission de Continents sciences, dont j’avais transcrit une partie : Notre univers est-il unique ? )

Etienne Klein - Les tactiques de Chronos

Billet initial du 3 juillet 2010
(Billet initial supprimé de la plateforme overblog, infestée désormais de publicité)

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Notes de lecture
De petites fiches de lectures sans prétention ; mais utiles pour se remémorer les grandes lignes d’un ouvrage. Recopie de passages et synthèse tout à fait subjective.  



Liminaire
Le temps est seulement ce qui permet qu'il y ait des durées. Il est cette machine à produire à produire en permanence de nouveaux instants. Il fabrique la succession d'instants et nous ne percevons en réalité que ses effets.

 
Question de vocabulaire
Le mot même englobe confusément trois concepts distincts, la simultanéité, la succession et la durée. Il y a bien un paradoxe de l'immobilité du temps et en disant que le temps passe, on confond l'objet et sa fonction.  « Pour les hommes, c'est le temps qui passe ; pour le temps, ce sont les hommes qui passent » (proverbe chinois)

 
Héraclite, Parménide & Chronos
Avec Héraclite, un fleuve n'est jamais identique à lui-même. Le changement, l'impermanence expriment paradoxalement une loi atemporelle : toujours à l'œuvre, ils manifestent de l'éternité. Cette façon de dire n'est pas neutre et attribue au temps, de façon implicite, certaines propriétés qu'il ne possède pas nécessairement. Si le temps était un fleuve, quel serait son « lit » ? Par rapport à quoi s'écoulerait-il ? Que seraient ses « berges » ?
Parménide pensait le mouvement comme succession de positions fixes, de sorte que tout devait pouvoir être décrit à partir d'un seul concept d'immobilité. Le devenir n'était donc qu'une illusion relevant du « non être ».
Du coté des mythes Grecs au début il y avait le Ciel et la Terre, Ouranos et Gaïa qui, ne supportant plus de porter en son sein ses enfants la gonflaient et l'étouffaient. C'est alors que Kronos, le dernier conçu, accepta d'aider sa mère en affrontant son père. Et tandis que ce dernier s'épanchait en Gaïa, il attrapa les parties génitales de son père puis les coupa sèchement avec une serpe façonnée par sa mère. En castrant Ouranos, Kronos réalisa une étape fondamentale dans la naissance du Cosmos : il sépara le ciel de la terre et créa entre eux un espace libre.

 
L'arrêt du temps où l'abolition du monde
Il ne peut y avoir de monde sans temps. Le temps est consubstantiel au monde : rien ne peut advenir ni persister hors de lui. Notre intellect ne parvient pas à l'envisager autrement que comme un arrêt du mouvement. Cela illustre notre impossibilité à penser ce que cet arrêt impliquerait de facto, c'est à dire la chute dans le néant : dès que nous imaginons le néant, nous en faisons « quelque chose ».

 
Galilée & Newton
La première mathématisation du temps physique, annoncée par Galilée et formalisée par Newton, a consisté à supposer que celui-ci n'a qu'une dimension. Et comme il ne cesse jamais d'y avoir du temps qui passe, on le représente par une ligne parfaitement continue. Ainsi le temps se trouve-t-il assimilé à un flux composé d'instants infiniment proches, succédant les uns aux autres.

 
L'éternel retour
Il existe, à grands traits, deux façons d'envisager l'éternel retour, l'une très réconfortante, l'autre pas du tout. On peut d'une part le trouver apaisant : en relativisant tout événement, y compris la mort, il engendre plus de sérénité qu'un temps dramatique ayant un début unique et une fin définitive. Mais l'éternel retour peut tout aussi bien se montrer désespérant : si tout revient à l'identique, c'est que la volonté n'a aucun effet réel, l'agir n'a pas de sens et la liberté n'a pas cours.
Avec les Stoïciens, ce qui fait des boucles, ce n'est pas le temps, mais l'histoire du monde. L'approche de Nietzsche est plus stimulante. Il s'agit de vouloir la vie comme elle est : ne pas s'opposer au réel, y consentir intensément ; malgré la rupture des faits, préserver la continuité de l'action. Associé au temps ces doctrines de l'éternel retour ne sont pas sans contradictions. En effet, tout instant y est à la fois périphérique et central : périphérique puisqu'il n'est qu'un point situé sur la circonférence d'un cercle; central puisque, étant parcouru une infinité de fois il devient une sorte de point fixe éternel. Ensuite prise à à lettre, l'idée même d'un cycle temporel qui se répète à l'infini est paradoxale.

 
Le temps linéaire des physiciens
Pour les physiciens si le temps ne saurait tourner en rond c'est en vertu d'un principe apparemment tout simple, le « principe de causalité ». Dans un temps circulaire, le devenir revient sur lui-même et la cause pourrait tout aussi bien être l'effet, et vice versa. Le principe de causalité y serait donc inapplicable. Toutefois, l'énoncé du principe de causalité à considérablement évolué au cours du temps. Au XXe siècle, la physique quantique lui a porté le coup de grâce. En effet, l'usage que cette physique de infiniment petit fait des probabilités interdit qu'on puisse parler, à propos des processus quantiques, de cause au sens strict du terme. Les physiciens ont pris acte et ont épurés le principe de causalité en stipulant simplement que le temps ne fait pas de caprices, qu'il s'écoule dans un sens bien déterminé, de sorte qu'on peut toujours établir une chronologie bien définie si les événements sont causalement reliés.

 
Le temps et l'espace
Nous pouvons nous déplacer à notre guise à l'intérieur de l'espace, aller et venir dans n'importe quelle direction, alors que nous ne pouvons pas changer volontairement notre place dans le temps. L'espace apparaît donc comme le lieu de notre liberté, arpentable à notre guise, tandis que le temps est une telle étreinte vis à vis de laquelle nous ne pouvons être que passifs : nous sommes « embarqués » pour parler comme Pascal. Avec la relativité, le principe de causalité continue d'être respecté. Les durées deviennent relatives, mais les notions de passé et de futur gardent un caractère absolu.

 
Phénomènes réversibles et irréversibles
A coté des équations microscopiques, qui sont toutes réversibles, des équations macroscopiques résument un comportement plus global de la matière et sont toujours irréversibles (par exemple la chaleur circule toujours du chaud vers le froid). Mais ces calculs , qui ,parviennent à faire surgir « l'irréversibilité » à partir d'équations qui n'en contiennent point, laissent entendre que cette irréversibilité n'est qu'une apparence propre aux seuls systèmes macroscopiques, une propriété « émergente » des phénomènes mettant en jeu un très grande nombre de particules. C'est le sens du « théorème de récurrence » démontré par Poincaré : tout système classique évoluant selon des lois déterministes finit par revenir à un état proche de son état initial, au bout d'une durée plus ou moins longue, mais jamais infinie. Mais à la vérité ces durées sont très longues, supérieures à l'âge de l'univers, dès que les systèmes mis en jeu contiennent quelques dizaines de particules. Cela équivaut bien pour nous une irréversibilité de fait.

 
Le temps cosmique s'accélère-t-il ?

Des mesures récentes indiquent qu'un processus joue un rôle dans l'accélération de l'expansion de l'univers. Tout se passe comme si une sorte « d'anti-gravité » avait pris la direction des affaires. Il est désormais acquis que la matière ordinaire, celle qui est benoîtement composée d'atomes, n'est qu'une frange de la matière de l'Univers, son écume visible, en quelque sorte. Une matière « exotique », qui représente 70% de la contribution totale à la masse de l'Univers pourrait être l'agent de cette accélération.
Cette accélération affecte-t-elle le cours du temps ? Selon certaines théories actuellement ébauchées, comme la « cosmologie quantique », l'expansion de l'Univers pourrait être le moteur véritable du temps : si elle s'accélère, le cours du temps devrait lui-même « s'accélérer », mais cela reste imperceptible à notre échelle. Cette insistance avec laquelle nous confondons temps et vitesse – ou temps et agitation – en dit d'ailleurs long sur notre rapport à la modernité.

 
Temps des physiciens et temps des philosophes
Si le temps physique est consubstantiel à l'univers, il semble qu'avec l'homme soit apparu un autre temps, proprement humain, un « temps de la conscience » qui traduit les façons dont l'homme vit et se vit. Il n'y a pas un temps des philosophes ; il y a un temps psychologique différent du temps des physiciens. Pour saisir la substance, ce n'est plus l'expérience de l'ennui qui conviendrait, mais celle recommandée par Paul Valery: « Attendez la faim. Tenez-vous de manger et vous verrez le temps ». L'affaire semble donc entendue : un temps psychologique existe bel et bien, qui ne se confond pas avec le temps physique. Le temps physique s'écoule de façon uniforme tandis que le rythme du temps psychologique varie.

 
La physique aurait-elle oubliée la mort ?
Selon Galilée, notre goût pour l'inaltérabilité découle de notre hantise de la mort : « ceux-là qui exaltent si bien l'incorruptibilité, l'inaltérabilité, je crois qu'ils en viennent à dire ces choses à cause de leur grand désir de beaucoup survivre, et de la peur qu'ils ont de la mort (…) Et il est hors de doute que la Terre est bien plus parfaite, étant, comme elle l'est, altérable, changeante, que si elle était une masse de pierre, et même rien qu'un diamant très dur et impassible ».
La physique a limité ses ambitions et borné son domaine ; elle n'étudie que la matière dans ce qu'elle a d'inerte. Mieux vaut donc considérer que la question de savoir si les caractères des êtres vivants sont in fine réductibles à des lois physiques « élargies » reste ouverte.

 
Il faut apprendre à aimer l'irréversible.