Blogue Axel Evigiran

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La dispersion est, dit-on, l'ennemi des choses bien faites. Et quoi ? Dans ce monde de la spécialisation extrême, de l'utilitaire et du mesurable à outrance y aurait-il quelque mal à se perdre dans les labyrinthes de l'esprit dilettante ?


A la vérité, rien n’est plus savoureux que de muser parmi les sables du farniente, sans autre esprit que la propension au butinage, la légèreté sans objet prédéterminé.

Broutilles essentielles. Ratages propices aux heures languides...


17 déc. 2019

Un dimanche aux 5 Tailles, où la malédiction des régions trop peuplées…

Fuligule morillon (photo par Axel)

La moitié de novembre vient de sonner, c’est dimanche. Quel plaisir, à peine levé, de découvrir après tant de jours de pluie un beau ciel bleu sans la moindre tâche… Se préparer aussitôt : bourrer dans le sac-à-dos jumelles, carnet d’observations, crayon, bouteille d’eau et guide Ornitho ; enfiler à la va vite sa tenue de « combat » … Prendre enfin l’appareil photo et s’assurer deux fois ne pas avoir oublié le chargeur ou la carte SD – Quand on est étourdi … Et, après un thé vite avalé, filer vers l’aventure.
Se réjouir sur la route, encore presque déserte, de nos prochaines retrouvailles avec ce qu’il est convenu d’appeler les vivants non-humains - il faut dire que la veille nous avons assisté à une conférence de l’anthropologue Philippe Descola et que, si cela ne suffisait pas, nous sommes ensuite allés voir un film dont l’intrigue tourne autour des pratiques shamaniques en Mongolie… Ça laisse forcément des traces !

L’automne bien avancé s’étire sous le soleil. Tout va merveilleusement bien. Jusqu’au moment d’atteindre le site tant désiré. Et là horreur ! Ce n’est pas le « Cœur des ténèbres » escompté mais une palanquée de voitures - inconcevable à cet endroit à une telle heure. Regard exorbité, se garer alors à distance de la cohorte… Sur le parking bourdonne un gros essaim de gens ; grappes bruyantes et mouvantes – une bonne vingtaine selon une estimation instantanée (avoir l’habitude de compter les fuligules au vol permet ce genre de prouesses). Quelques-uns sont accoutrés à la même mode que le « promeneur solitaire », et portent en bandoulière une paire de jumelles. Un ou deux spécimens, sans doute les chefs de meute, ont à l’épaule une longue vue. Mais la plupart des membres du troupeau n’ont pour bagage, déjà dessinée sur moult lèvres, qu’une envie de papoter, de passer comme on dit un moment en compagnie…
« Merde une sortie nature ! », s’écrie mentalement le misanthrope - il faut comprendre un groupe de fâcheux attirés par une visite « pédagogique » …

Vue sur les Cinq Tailles, le matin (Photo par Axel)

Aussi, plus que jamais résolu de fuir la foule, le solitaire contourne-t-il la masse agglutinée (il faut toujours attendre les retardataires) avec l’empressement d’une vierge qui vient de voir le diable. Et de se précipiter illico sur le sentier sinuant à travers bois jusqu’au premier observatoire, sans consentir au rituel pourtant si agréable de trainer tout se délectant du chant des passereaux venus accueillir ses pas. C’est que, l’amoureux de la paix et du silence (entendons-nous bien, il est question ici de s’affranchir des bruits d’origine humaine – car la forêt bruisse de mille mélodies), s’il veut espérer rencontrer d’assez près les oiseaux assoupis ou batifolant sur le plan d’eau, il lui faut mettre entre ses pas et ceux de la horde des bavards le maximum de distance - imaginer un tel aéropage entrer dans une cache d’observation, c’est comme imaginer une bande de supporter de foot jaillir dans une bibliothèque.

Mais l’esprit de la forêt veillait alors sur le miroiseur solitaire ; et de pouvoir, sans la frustration du dérangement, se perdre dans la contemplation des grands cormorans, regroupés autours des piquets perforant l’eau, pas très loin de la cohorte batailleuse des vanneaux huppés au reposoir sur les îlots du lac. Parmi eux, Un héron cendré, indolent traîne ses pattes dans l'espoir de planter son bec dans des entrailles frémissantes – ainsi va la nature. Baillant sur l’onde se laissent voir sarcelles d’hiver, canards Chipeau, Colverts et autres Souchets. Sans compter les fuligules milouins ou morillons de tous plumages – de l’éclipse au nuptial. Ajoutons à cet inventaire, presque invisibles sur la berge d’une minuscule langue de terre, une troupe de bécassine des marais ; assoupies bien que l’œil en alerte. La liste n’est pas exhaustive !

Mais les instants de grâce ne sont pas faits pour durer. Et, depuis la désertion des églises (malgré la déplorable ouverture de moult officines commerciales le dimanche), il est bien des maux à souffrir dans une réserve naturelle en des jours de ciels propices… Des désagréments variés, rythmés à une cadence infernale… A commencer par une horde en fluo, surgit dont on ne sait où… Annoncée dans un tonnerre d’éructations toutes aussi qu’indispensables qu’épiques. Dans le genre : « Y a un truc là ! Une cabane… » - « Putain j’ai mal au cul » … Des vététistes du troisième âge d’une extrême délicatesse qui, une fois déposé leurs vélos à grand fracas, s’engouffrent dans l’ombre de l’abri, le premier s’écriant aux suiveurs de la horde : « Y’a quelqu’un … ». Et d’entrer sans vergogne pour une visite 30 secondes chronos. Evidemment tous les oiseaux les plus proches ont pris leurs ailes à leurs cous ! L’un de ces grossiers intempestifs d’oser alors s’approcher du miroiseur solitaire (les cons ça ose tout), qui accroché à ses jumelles fulmine faisant gros dos. Et de l’interpeller. Une saillie faisant montre d’un esprit à faire pâlir le plus docte de nos érudits : « Vous regardez quoi ? » La réponse excédée, finalement encore trop aimable, sans lui adresser le moindre regard, relève de l'évidence : « Avant que vous arriviez il y avait des oiseaux » !

bécassines des marais (photo par Axel)
Le reste de la balade fut l’occasion d’éprouver les nerfs de qui cherche à fuir les miasmes de l’humanité affairée ; du loisir mécanique aux sportifs dominicaux, passant par les égarés du moment, écouteurs vissés aux oreilles …
Ainsi tel avion de tourisme, dans le genre mobylette des airs, crachotant son kérosène à basse altitude, les familles à « sales gosses » ou à poussettes « four wheel drive », les pépères et les mémères à chiens qui vous saluent en criant presque, pour couvrir les aboiements, les randonneurs de haute montagne, échoués dans la plaine avec le clic clac de leurs bâtons, les chasseurs aux treillis militaires magnifiquement recouverts de gilets oranges pour ne pas s’entre tuer, des cavaliers encore, fiers de leur monture au point de d’essayer à un trot malencontreux sur un pont en bois. Tout ceci sans oublier les gueulards égarés à force d’écraser les champignons.  

Mais reste les oiseaux !

Vanneaux huppés (Photo par Axel)