Blogue Axel Evigiran

Blogue Axel Evigiran
La dispersion est, dit-on, l'ennemi des choses bien faites. Et quoi ? Dans ce monde de la spécialisation extrême, de l'utilitaire et du mesurable à outrance y aurait-il quelque mal à se perdre dans les labyrinthes de l'esprit dilettante ?


A la vérité, rien n’est plus savoureux que de muser parmi les sables du farniente, sans autre esprit que la propension au butinage, la légèreté sans objet prédéterminé.

Broutilles essentielles. Ratages propices aux heures languides...


31 janv. 2021

La mésange à tête noire du Lac Baïkal


J’aime les récits des écrivains voyageurs, ces rêves incarnés où le temps s’étire à l’infini ; ces cahiers ou ces journaux de l’infime immensité de nos espaces intérieurs. « De l’usage du monde » aux « Chemins noirs ». Ces histoires de pieds poudreux qui tranchent si nets sur la toile de nos frénétiques bourdonnements ; ces anecdotes et ces singularités d’un quotidien déroutant pour l’homme des civilisations mercantiles.

 

« Les sociétés n’aiment pas les ermites », dit Sylvain Tesson.  « Elles ne leur pardonnent pas de fuir. Elles réprouvent la désinvolture du solitaire qui jette son ‘continuez sans moi’ à la face des autres. Se retirer c’est prendre congé de ses semblables. L’ermite nie la vocation de la civilisation, en constitue la critique vivante. Il souille le contrat social. Comment accepter cet homme qui passe la ligne et s’accroche au premier vent ? »[1] Il voit juste.

 

J’aime, disais-je la poésie des phrases simples et profondes de tel homme qui, reclus dans une cabane perdue sur la rive occidentale du lac Baïkal en Sibérie, reçoit comme un précieux présent la visite d’une « mésange à tête noire ». L’oiseau, ainsi nommé par commodité[2] par l’auteur, devient vite une indispensable compagne. Et s’il s’éloigne une journée de sa cabane :


« Je pense à la mésange. J’en suis déjà nostalgique. Ou comme on s’attache vite aux êtres. La pitié m’envahit pour ces bêtes en lutte. Les mésanges gardent la forêt dans le gel. Elles n’ont pas le snobisme des hirondelles qui passent l’hiver en Egypte »[3]

 

Mésange nonnette (photo par Axel)

Sur le nom de l’espèce, le reclus sibérien affine :

« La mésange revient. Dans mon guide ornithologique je cherche sa fiche technique. D’après l’auteur suédois Lars Svensson, né en 1941 et auteur de multiples ouvrages comme le célèbre guide des passereaux d’Europe, la mésange boréale se reconnait à ce cri : « zi-zi tèèh tèèh tèèh ». La mienne ne dit pas un mot. Sur la page d’après je lis qu’une mésange porte le nom de mésange lugubre.

La visite du petit animal m’enchante. Elle illumine l’après-midi.[4] »

 

Lire ces quelques phrases illumine ma soirée.

Et d’ouvrir à mon tour mon propre guide Ornitho. Trois espèces de mésanges se ressemblent à s’y méprendre ; il faut de l’expérience pour les distinguer sur le terrain. Leurs noms : mésange boréale, mésange lugubre, et mésange nonnette. Cette dernière espèce, je l’ai photographiée il y a de cela tout juste une semaine dans une forêt des Haut-de-France, comme il convient de dire à présent. J’étais moi aussi seul. Mais une solitude hélas toute relative.

 

« La présence des autres affadit le monde. La solitude est cette conquête qui vous rend jouissance des choses »[5].



[1] Sylvain Tesson, « Dans les forêts de Sibérie », P61.

[2] Sous une telle latitude, l’oiseau ne peut être de l’espèce indiquée – la mésange à tête noire étant inféodée au continent nord-américain. Mais qu’importe ! Il s’agit d’une mésange qui à la tête noire

[3] Sylvain Tesson, op cité P58

[4] Sylvain Tesson, op cité p 55.

[5] Sylvain Tesson, op cité P 36.

19 janv. 2021

Dans la neige, à la digue du Break, ou les-dessous d’une journée Ornitho

 

Au large du platier d'Oye (photo par Axel)

J’ai souvent sur cet espace partagé ma passion pour les oiseaux ; celle plus récente de les photographier également. Mais sans jamais entrer dans la tambouille du déroulé d’une virée ornithologique. Quoique disant cela j’ai conscience d’un abus de langage : il y a autant de manières de vivre la rencontre avec le monde ailé qu’il y a de facettes à nos humeurs. Autant de lieux, d’envies, d’émois, de hasards, qu’il y a de poils dans la barbe d’un homme dont le chemin est, disons-le, bien avancé.

Aussi ne vais-je ici, que raconter une expérience particulière. Car j’ai une appétence de scribe, le goût d’un mémorialiste - comme si écrire un morceau infime de l’existence pouvait la saisir, et empêcher le sable du temps de nous filer entre les doigts. Et, par la magie de la relecture, pouvoir raviver ces secondes déjà décédées – la nostalgie de l’instant à peine écoulé. 

Ce goût de la nature, et des oiseaux en particulier me vient de l’enfance. Tout d’abord, lorsque accompagnant mon père dans les bois et les vallons de la Somme nous allions observer chevreuils, lièvres et autre perdrix (il disait abusivement des « perdreaux »). Souvent aussi je m’isolais dans le jardin de ma grand-mère. Ancienne paysanne puis ouvrière en filature, elle s’appelait Albertine et derrière ses airs bourrus m’aimait bien. Elle habitait un petit village au nom d’insecte, dans une ancienne ferme. Le logement et les étables, formant un L, coupaient la propriété en deux. A l’avant une cour, domaine de la raison, s’ouvrait sur la rue principale du village. A l’arrière s’étirait un vaste jardin, royaume de l’inconscient et du rêve ; un espace à moitié sauvage sans véritable limite, puisque donnant sur les étangs de Somme. Les oiseaux y étaient chez eux. C’est là que je rencontrai ébahi  le pic épeiche pour la première fois, que je découvris l’existence du grimpereau des jardins. J’aimais cette solitude bercée du cri des poules d’eau. J’y passais des heures contemplatives, le regard perdu dans les eaux glauques et transparentes de l’étang. Tout un univers !

A l’âge de douze ans, déjà rétif envers les oripeaux faussement bienveillants de la religion, je négociai ma soumission. Ma première paire de jumelles (8x30) pour accepter de porter un cierge – je n’avais pas trop le choix ; autant prendre le cadeau !

Il y avait aussi cette amitié un peu fusionnelle avec un ami d’école maternelle, dont l’oncle était ornithologue (une réserve porte aujourd’hui son nom). Devenus adolescents, presque tous les weekends nous allions à vélo au Lac du Héron observer les oiseaux. Nous y rencontrâmes, entre autre, le hibou des marais. Parfois téméraires, nous allions braver le domaine des clochards, dans le « petit marais », situé derrière chez lui (l’endroit n’existe plus - remplacé par une rocade). C’est là que nous fîmes notre coche du gobe-mouche noir !

Mais je m’égare à raviver de vieux souvenirs. Ce samedi donc, était prévue une virée Ornitho avec mon pote d’enfance. Objectif, la réserve du platier d’Oye, puis la digue du Break… La météo s’avérait pourtant problématique, mais avions déjà reporté une fois la sortie. Nous nous lançâmes donc sa davantage tergiverser dans l’aventure ! 

Dans la tempête....

Nous quittâmes la métropole à 9h, sous le soleil pale du matin. La neige n’étant annoncée qu’en milieu d’après-midi. Mais à l’approche de Dunkerque le ciel s’était blanchi, quelques flocons de neige voltigeant déjà dans l’air. En arrivant sur le parking du platier d’Oye, cela avait tourné à la tempête. Mais l’enthousiasme du miroiseur était intact, et nous allâmes nous frotter aux rudesses du climat dans la bonne humeur. Je connaissais un « spot » pour les alouettes hausse-cols. Cependant, arrivés sur le secteur il nous fut impossible, malgré nos efforts, d’approcher les quelques grappes d’oiseaux encore actifs, rendus très farouches dans la bourrasque. Ce fut tout d’abord un groupe de grives mauvis. Puis nous suspectâmes enfin des alouettes… Mais à chaque fois que nous arrivions à moins de 100 mètres, elles fuyaient. Leur cri en vol nous avait orientés sur l’identification de l’espèce. La poignée de photos prises de loin dans des conditions exécrables, confirmèrent qu’il s’agissait bien d’alouettes hausse-col. Rebroussant en zigzague à travers les molières nous fîmes par inadvertance lever dans nos pieds une bécassine des marais. Voilà pour l’anecdote. De là prîmes le sentier menant aux deux observatoires de la réserve, croisant quelques merles et autres rougegorges. La neige redoublait, et nous avions l’allure de deux trappeurs du grand-soir. Rien au premier observatoire et pas mal de monde au second : tadornes de belon et canards siffleurs en nombre. Des colverts, des sarcelles d’hiver et autres espèces coutumières de ces biotopes… Mais au vu des conditions climatiques, impossible de photographier le moindre oiseau, ni même de de les observer correctement aux jumelles, toujours embuées.

Au platier d'Oye (photo par Axel)

La pause déjeuner fut décidée sur la jetée de Grand-Fort-Philippe, petite bourgade côtière avec vue sur la centrale nucléaire de Gravelines. De là allâmes explorer le parc bordant la mer – ce petit parc qui réserve parois bien des surprises (j’y avais observé à l’automne le Rougequeue à front blanc). Mais là encore, rien, sauf une bande nombreuse de pinsons des arbres !

Et de partir du côté de Dunkerque, et plus précisément à la digue du Breaek, cet endroit si singulier. Il faut imaginer une route parfaitement rectiligne de plusieurs kilomètres, longeant un canal bordé d’usines monstrueuses : entre torchères, tuyaux et infrastructures à la « Mad-Max ». Des quais ou viennent s’arrimer des navires industriels. De l’autre côté de cette route, la surplombant, un gros talus dunaire s’adosse à la digue proprement dite, immense plateau de béton coulant en pente assez nette vers la mer. Il est possible d’y circuler en voiture sur le plat situé à son sommet, voire pour les plus audacieux de s’insinuer dans la pente, au risque d’y noyer son véhicule.

D’un point de vue ornithologique l’endroit est idéalement situé ; les oiseaux de mer se trouvant abrités dans le canal. Et les passereaux en migration voyant là une halte propice pour se refaire une santé, après la traversée de la mer. Pour le miroiseur il est en général d’usage de s’engager sur la route et de rouler au pas, vitres ouvertes, tout surveillant à la fois le canal, la route proprement dite et le talus. De s’arrêter, voire de reculer pour suivre un oiseau ou un groupe d’oiseaux. Et tâcher de le photographier sans parfois chercher descendre du véhicule.

C’est là, sur cette ligne en front de mer, que nous fîmes nos coches respectives. Le grèbe esclavon pour mon copain, et le désormais nommé plectrophane des neiges  pour moi – l’oiseau fut appelé jusqu’en 2008, bruant des neiges ; je sais l’intérêt scientifique des évolutions des noms d’oiseaux, mais cela n’aide pas toujours !

Et de rappeler la modestie qu’il faut toujours conserver dans ce genre d’exercice. De ne pas se laisser distraire, ni être trop sûr de ses connaissances ou de son expérience. Car dans les deux cas qui nous occupent, ces nouvelles coches furent obtenues sur le fil du rasoir.

Le bruant des neiges : ayant à plusieurs reprises vu des groupes de passereaux voleter devant le capot de la voiture, et qu’à chaque fois il s’agissait de pinsons des arbres, lorsque se posèrent deux nouveaux oiseaux, et qu’une vérification rapide valida encore, pour le plus proche, la même espèce, un mâle en l’occurrence, avisant le second volatil, malgré une allure pouvant laisser perplexe, j’en déduisis machinalement que c’était là une femelle de pinson, certes un peu claire, et avec des plages alaires anormalement blanches. Mais un pinson que je fis envoler sans trop de scrupules en avançant. Mais l’oiseau, persévérant, se posa un peu plus loin, toujours dans l’axe de la route. Nouvel arrêt, nouvelle vérification et là le gros doute ! Bon sang … Mais le temps d’échanger la paire de jumelles avec l’appareil photographique, de ne pas réussir à le fixer dans l’objectif et de reprendre les jumelles, que le visiteur d’hiver prenait le vent en direction des dunes. Nous ne le revîmes pas. 

Grèbe esclavon (photo par Axel)


Comparatif des deux grèbes en hiver !

Le grèbe esclavon : mon pote vit un grèbe pas très loin au bord du canal. Il en tira plusieurs images. C’était sans doute là un grèbe à- cou-noir, même si le contraste blanc sur la joue paraissait bien net - mais c’était le plus probable statistiquement. A plusieurs reprises je reculais le véhicule pour faire coïncider notre axe d’observation à celui de la remontée probable de l’oiseau, après avoir plongé. Ce dernier restait assez tranquille, à vaquer à ses occupations sans se soucier de notre présence. Il neigeait toujours et, le doute faisant son chemin, je sortis du véhicule pour récupérer mon guide Ornitho dans le coffre. Et d’en profiter pour faire une poignée de photographies à la volée. Alors grèbe à cou noir ou grèbe esclavon ? Mon copain avait pris aussi son guide, une édition collector que j’ai aussi à la maison. Les textes et représentations sont légèrement différents  - il est toujours bon d’avoir plusieurs outils de comparaison. Et, tout restant à proximité de l’oiseau, de regarder tour à tour les illustrations de nos livres en lisant les rubriques de caractéristiques, de les comparer à la fois à nos clichés et à l’oiseau vu dans les jumelles. Le bec me paraissait trop fort pour un cou-noir mais, en même temps, je croyais distinguer la courbure du bec vers le haut. Ces choses-là prennent facilement tournure subjective dans le vif du sujet. Mon copain me répétait : « regarde la pointe du bec. Elle est claire. Coche potentielle » ! Mais je l’avoue je ne voyais pas grand-chose. A force de débat et d’observations nous finîmes par laisser l’oiseau, nous résignant au plus raisonnable, c’est-à-dire à un probable grèbe à-cou-noir. Jusqu’à ce que, le lendemain soir triant mes clichés, je revins à tête reposée sur les photographies, zoomant au maximum. Quand-même… Drôle de gueule pour un grèbe à-cou-noir ! Du coup je postais une demande d’avis et de confirmations sur un forum dédié Facebook. Trois réponses documentées. Et à chaque fois, la même réponse : grèbe esclavon[1]. 

La mer, face à la digue du Break (photo par Axel)

Après ces péripéties, nous achevâmes notre exploration par une promenade à pieds tout au bout de la digue, allant au bord de l’eau – et tremper de manière symbolique mes bottes dans la mer. Et de tomber sur plusieurs bandes de bécasseaux Sanderlings. Des oiseaux charmants. Nous en immortalisâmes plusieurs, dans une belle ambiance hivernale. 

Bécasseaux Sanderlings (photo par Axel)

Mais le couvre-feu prévu à 18h, déclencha le signal du retour. La lumière déclinait de toute façon et avions eu notre dose de neige et de froid. Au loin virevoltaient les fou de Bassan... 

Une bien belle journée.

Shoot des bécasseaux Sanderling sur la plage de la digue du Break



[1] Voici l’une des réponses : Tête allongée, pas bulbeuse à sommet plat. Bec pas retroussé vers le haut. Petite pointe clair au bec. Joue très blanche et allongée.


11 janv. 2021

2021, nouvelle saison ornithologique

 

Passage dans le marais (photo par Axel)

S’ouvre le chemin d’une nouvelle saison ornithologique. Avec quelques gelées matinales pour embellir le paysage… Ces journées de froid et de grand soleil ou la forêt prend des allures mystérieuses ; les mares et les étangs blottis dans leurs écrins de roselière …

Rencontrer les visiteurs d’hiver plus ou moins réguliers, cet éternel plaisir. Des grives, toujours en bande. Deux espèces qui nous viennent de Scandinavie et de Russie : la grive mauvis et la grive litorne. Ou les acrobatiques Tarins des aulnes, épluchant tête en bas les graines dont ils sont friands - et quelques autres espèces encore.


Grive mauvis (photo par Axel)

Tarin des aulnes ( photo par Axel)


Grive litorne (photo par Axel)

Grives litorne (photo par Axel)

Il arrive parfois que dans ce ballet hivernal, survient un oiseau plus rare. Ainsi ce sizerin perché juste au-dessus de ma tête et que je n’avais pas vu, tout occupé à photographier une mésange bleue … Puis soudain ! Fixer l’oiseau qui vous toise de haut. Front rouge et bavette noire caractéristique : Sizerin cabaret ! Le sang se fige ; juste le temps de viser que l’oiseau s’envole déjà. Et de constater qu’il n’était pas seul. Les voilà désormais perchés plus loin, indifférents – une bande de quatre ou cinq individus. En saisir encore une image avant qu’ils ne disparaissent. Reste ce sentiment de plénitude …


sizerin cabaret (photo par Axel)

sizerin cabaret (photo par Axel)

Mais les habitants habituels font aussi le charme des pérégrinations du miroiseur dilettante. Citons juste pour les besoin de ce billet la sittelle Torchepot, le chardonneret élégant, le pic épeiche ou le beaucoup plus rare bouvreuil pivoine …


Sittelle Torchepot (photo par Axel)

Bouvreuil pivoine (photo par Axel)

Chardonneret élégant (photo par Axel)

Se décider enfin à rebrousser chemin.

Dans ce monde surpeuplé, pouvoir sourire dans le silence – ces rares moments de grâce, relève du privilège ; savourer ces quelques dizaines de minutes suspendues, avant que ne surgissent les miasmes de ces hordes dont j’ai déjà parlé ailleurs – inutile d’y revenir.


En forêt (photo par Axel)