Blogue Axel Evigiran

Blogue Axel Evigiran
La dispersion est, dit-on, l'ennemi des choses bien faites. Et quoi ? Dans ce monde de la spécialisation extrême, de l'utilitaire et du mesurable à outrance y aurait-il quelque mal à se perdre dans les labyrinthes de l'esprit dilettante ?


A la vérité, rien n’est plus savoureux que de muser parmi les sables du farniente, sans autre esprit que la propension au butinage, la légèreté sans objet prédéterminé.

Broutilles essentielles. Ratages propices aux heures languides...


12 déc. 2021

Chronique d’une promenade en forêt de Crécy

 

En forêt de Crécy - Photo par Axel
En forêt de Crécy - Photo par Axel

Par un dimanche d’octobre, tournant le dos à la baie de Somme, tôt le matin il arrive aux amoureux de la nature et du silence de mettre le cap sur la forêt de Crécy. Le nom est célèbre.

La bataille éponyme se déroula en 1346, une chevauchée désastreuse pour le roi de France et ses sbires. Mais ce n’est pas ici le sujet. Quoi que si la contrée n’est désormais plus un défouloir martial, sévissent toujours une partie de l’année dans la forêt et ses alentours, les rejetons dégénérés des gens d’armes d’alors. Aussi avant d’y risquer ses pas, d’octobre à mars, la prudence invite à se renseigner sur les rares jours sans chasse, sauf à avoir une appétence particulière pour le fracas des armes et vouloir être pris pour un sanglier …

Outre l’impossibilité de se tenir sans péril dans le même secteur forestier qu’eux, il faut voir ces « vrais écologistes » œuvrer à la régulation des « nuisibles » pour comprendre tout le bénéfice qu’il y a à les éviter. En rangées serrées, ratissant les moindres fourrés, déguisés en Kaki et gilets fluo, fusil en main à s’interpeller, vociférer, siffler ou aboyer sur leur chien … Un affreux vacarme - sans compter les crépitements sourds en rafale à la vue du moindre faisan d’élevage, décollant effaré entre leurs bottes. C’est ainsi que sont déversés des milliers de tonne de plomb dans la nature chaque année. Passons.

 

Fougère à l'automne - Photo par Axel
Fougère à l'automne - Photo par Axel


Ce matin-là le soleil inondait les sentes, faisant lever une légère brume, conférant au sous-bois un air de trouble fantasmagorie. Pas de véhicules sur la route forestière du chevreuil. Mais juste une solitude magique et le calme absolu des frondaisons …  

Il fait trois degrés et se sont les premières gelées blanches de l’année. La sommière des Grands Hêtres respire paisiblement, les oiseaux s’ébrouent tranquilles … Le murmure de la vie dans les bois.

Sentier forestier - photo par Axel
Sentier forestier - photo par Axel

Et les pas du promeneur silencieux, qui se faufile dans les trouées de lumière ; à boire le paysage !

 

Six heures d’un pur régal ! Ne croisant en tout et pour tout que deux petits groupes de vététistes, des gens plutôt respectueux.

Une lente déambulation dans les sentes et chemins de traverse, sans certes rencontrer ni chevreuils ni sangliers, ni même d’écureuils, mais en bonne compagnie parmi les oiseaux, éparpillés en grappes éparses. Ici ou là, plutôt d’ailleurs à proximité des chemins et clairières. Et d’en dénombrer une quinzaine espèces différentes, ce qui est plutôt pas mal sur cette durée en milieu purement forestier.  

 

Deux moments forts :

Le premier, lorsqu’au-dessus d’une trouée dans la forêt cercla un rapace. Pas très haut, il cherchait les courants ascendants. Epervier ou Autour ? Impossible sur le coup de le déterminer - heureusement la photographie numérique, ainsi que les communautés de passionnés, permirent ensuite de lever le doute : c’était un épervier femelle !

Ensuite, une surprise. Un petit passereau fort coloré, reconnaissable au premier coup d’œil. Un oiseau que l’on ne s’attend pas forcément à croiser en ce type de biotope. Un mâle de tarier pâtre ! Passant d’un perchoir à l’autre à la recherche de proies.

 

Tarier pâtre à Crécy - Photo par Axel
Tarier pâtre à Crécy - Photo par Axel

Sur la variété des espèces vues on peut s’étonner. Les souvenirs sont faillibles, mais les anciens carnets de notes l’attestent : il y a 10 ou 20 ans lorsque je venais en forêt, et en particulier celle-ci, je peinais à observer plus de 5 ou 6 espèces différentes. J’en suis aujourd’hui en moyenne à plus du double, malgré l’effondrement dramatique de la biodiversité - aussi bien en nombre d’espèces que sur les densités de populations d’oiseaux au sein d’une même espèce. Je ne m’explique donc ce phénomène que par une acuité désormais plus grande, un meilleur choix des horaires, et par des connaissances aussi plus étendues, en particulier par une meilleure capacité à localiser des oiseaux à leurs cris ou leurs chants. Jadis c’était presque toujours : mésanges bleues et charbonnières, pinsons des arbres, merles, un geai ou deux, une buse variable et autres rougegorges. Désormais je croise aussi des sittelles, des mésanges nonettes, des noires et parfois des huppées, des grimpereaux, des roitelets, des pics pas seulement épeiches, etc. Avec une surprise toujours possible !

 

On vante en général le bénéfice pour la santé des balades dans les bois, ou pour l’équilibre mental. Comme s’il fallait ce genre de motivations très contemporaine et utilitariste pour se résoudre à mettre ses pas dans les sentiers des espaces de nature. Or il suffit plutôt de suivre ses inclinations - évitant les endroits trop fréquentés.

Et là dans cette forêt, ce jour-là il faisait si bon et si calme, sans autres bruits que ceux de la nature … Le paysage chantait, vibrant de couleurs chatoyantes. Les fougères s’étiolaient sous l’ombre des grands hêtres, les branches s’égouttaient et les feuilles tombaient en pluie légère. Le cycle des saisons. Enfin, le pâle soleil des derniers jours d’octobre réchauffait si bien le corps …

Les couleurs du désastre - Photo par Axel
Les couleurs du désastre - Photo par Axel

Un dernier mot tout de même, sur ces nombreuses saignées à blanc[1] en forêt, dont j’ai l’impression qu’elles se généralisent. C’est assez déconcertant de découvrir des espaces si immenses vidés de leurs arbres, de leurs buissons … Ne reste que la terre remuée parsemée de souches et autres moignons sur des étendues de plusieurs dizaines de terrains de football. On peut s’interroger sur la manière dont les organismes de gestion des forêts parviennent à justifier une telle pratique. Est bien sûr avancé un souci de gestion. Mais le réel est plus terre-à-terre et le terme qui convient est celui d’exploitation forestière : il faut tirer profit de la revente du bois.

Coupe à Blanc en forêt de Crécy - Photo par Axel
Coupe à Blanc en forêt de Crécy - Photo par Axel

Avec ces coupes à blanc, outre un évident problème d’érosion des sols, « le cycle de vie de la forêt est donc stoppé net du jour au lendemain et cela concerne tout le monde : des petits mammifères ou oiseaux en passant par les insectes (…) et tout le cortège de champignons qui jouent un rôle crucial dans les écosystèmes forestiers ou encore les plantes connexes qui ne pourront survivre avec la perte de leur écosystème ».

Reste un sentiment de saccage et de désolation. Et de penser que c’est bien là la caractéristique de notre espèce : détruire la nature par esprit pratique, par sens de « l’utilité ».

 

Assis au bord de l’un de ces champs de bataille, je compte les stries d’un arbre abattu. Il avait plus de 80 ans.

Stries d'un arbre abattu - Photo par Axel
Stries d'un arbre abattu - Photo par Axel




[1] Ce que je lis en ligne confirme mes intuitions : « Curiosité du code forestier, la notion de coupe rase n’est pas définie alors que l’article L124-6 se propose de l’encadrer. Il faut se plonger dans l’Inventaire Forestier National (IFN) pour trouver une définition de la coupe rase qui “désigne en gestion forestière l’abattage de l’ensemble des arbres d’une parcelle”. » - « L’industrialisation de la gestion forestière risque de poser de graves problèmes environnementaux à plus ou moins long terme. Outre le fait que les coupes à blanc défigurent les paysages, elles pourraient aussi nuire à l’écosystème »

4 déc. 2021

Au Crotoy ...

Au Crotoy ... (phot par Axel)

 

Ce couple marchant lentement main dans la main sur les galets de la vie.

La lumière est chaleureuse bien que fatiguée. Crépusculaire presque.

Le ciel tissé tout en nuance.

Une tour d’un âge incertain aux volets verts ; clos. Le monde de l’intériorité ...

Un mur d’enceinte vient circonscrire les possibles.

Au-delà l’immensité de la baie.

Un arbre résiste à la nécessité.

Le cycle des saisons.

Au loin l’eau, des territoires à découvrir avant que la nuit tombe.

Le chant des oiseaux et la respiration de la vie.

 

Voilà la façon dont j’aimerai vieillir…


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Baie de Somme (vue depuis le port du Crotoy) - Photo par Axel




Bécasseau Sanderling - Photo par Axel

4 nov. 2021

Le parti pris des oiseaux : miroise et littérature

 


Stanislaw Lubienski
Stanislaw Lubienski

Le ton est celui de la conversation ; avec des anecdotes déroulées au fil des pages, truffées de références parfois savantes, parfois singulières. Les chapitres sont variés. Et avouons-le, un récit autobiographique qui débute par une phrase telle que : « Je m’intéresse aux oiseaux depuis le début de l’école primaire … », ne pouvait que me plaire – j’y vois bien sûr un écho à ma propre histoire. Mais il n’est pas nécessaire d’être ornithologue ou miroiseur pour ce délecter de la lecture d’un tel livre. Il plaira aussi aux esprits dilettantes, aux amis de « l’inessentiel », aux esthètes, aux rêveurs, aux promeneurs solitaires, aux amoureux de la tranquillité, et plus généralement à tous ceux qui aiment les pas de côté.

 

L’ouvrage fut écrit en 2016 – la traduction française et la parution aux éditions Noir et Blanc est de juin de cette année. L’auteur, Stanislaw Lubienski est écrivain et cinéaste.



 

Courlis cendrés, au large de la baie de Somme (Photo par Axel)

Quelques passages …

 

Du syndrome BCD (Birding compulsive disorder) :

« Ce syndrome est notamment responsable des coups de frein brutaux qu’ils donnent (les passionnés d’oiseaux) sans même un coup d’œil dans le rétroviseur sur des routes très fréquentées quand ils aperçoivent une chose curieuse sur le bas-côté. C’est sous l’effet de ce syndrome qu’en pleine discussion un amoureux des oiseaux fait taire tout le monde d’un chut, un doigt pointé dans la direction d’où lui parvient un bruit intéressant »[1].

Il me faut avouer être atteint à un degré assez avancé de ce syndrome… Et je ne compte plus les fois où, abandonnant toute prudence, j’ai d’un coup détourné les yeux de la route pour lever nez vers un « truc en vol », ou encore m’être arrêté en catastrophe sur le bord de la chaussée pour me précipiter en direction d’une prairie ou la lisière d’un bois, à la recherche de l’oiseau « rare » entraperçu[2]. Les symptômes auditifs sont aussi fréquents. Aussi lors d’une promenade sans but ornithologique, être pris de cette fâcheuse de manie de couper la conversation régulièrement pour annoncer le nom des chants d’oiseaux entendus !

L’auteur évoque aussi le cas des bandes-son des films[3] où « les voix d’oiseaux qu’on entend ne correspondent pas à la saison », ou ajouterai-je, ne correspondent pas au pays ou au biotope montré. Ainsi de m’être lamenté ici ou là d’entendre le cri de tel espèce d’oiseau : impossible ! – par exemple le chant d’un rossignol en plein hiver, dans une plaine des Hauts-de-France.

 

Milan royal en migration (baie de Somme, octobre 2021) - Photo par Axel

Sur la cohabitation entre miroise et photographie :

« Les observateurs d’oiseaux nourrissent souvent des griefs envers les photographes. L’éthique fait l’objet entre eux d’un éternel débat. A-t-on le droit de s’approcher tout près d’un oiseau dès lors que celui-ci se sent menacé ? La diversité et les bas prix du matériel disponible sur le marché font que tout un chacun peut se sentir une âme de photographe, qu’il sache ou non faire des images. Pullulent sur Internet des photos médiocres dont le seul intérêt est qu’elles montrent les plumages des oiseaux dans leur moindre détail. M. (l’ami photographe de Stanilaw) est bon techniquement, il sait exactement quel effet il veut obtenir, et il a aussi une chose qui ne s’achète pas : du talent. Il est capable de réfréner son instinct et de rester à une distance respectable s’il juge le pas suivant inutile »[4].

L’idéal est d’associer si possible ces deux activité et de les pratiquer en âme et conscience, éthiquement (la paire de jumelles et l’appareil photo).

Selon ma propre expérience, si les brebis galeuses se rencontrent surtout chez les photographes[5], certains observateurs ne sont pas en reste. La recherche à tout prix de la coche ou « du cliché » écrasent parfois toute autre considération. Il y a peu était relayé à ce propos sur les réseaux sociaux le « Coup de gueule d’un photographe animalier »[6], suscitant diverses réactions. Ma propre contribution avait été celle-ci :

« Il peut y avoir en effet chez certains des problèmes manifestes de comportement. Mais personne n’est irréprochable. Mais si on écarte même les cas les plus grossiers ou évidents, reste qu’il y a souvent dérangement. A partir de quelle distance gênons-nous ? Quelles fréquences de visites sont acceptables ? quel nombre de photographes ? Quel niveau de bruit ? Etc.

Car la chasse photographique animalière, en particulier pour les oiseaux, est un loisir devenu en vogue et en croissance exponentielle. C’est bien, mais cela a ses effets indésirables (même si on est respectueux) – pour la faune mieux vaut un promeneur qui reste tranquille et passe sur le sentier qu’un chasseur d’image qui fouille les buissons et cherche à approcher la faune… S’ajoute la circulation d’informations, les applications qui localisent les « raretés ». Pour ceux qui connaissent certains lieux et s’adonnent à la « Miroise » depuis 10 ans, 20 ans ou plus, qui n’a pas vu l’évolution de la fréquentation ? Il y a certes l’évolution démographique mais pas que … Le constat est une « disneylandisation » de certains sites. Et là où en rencontrait un observateur tous les 15 jours, avec qui on avait plaisir à échanger, on en croise désormais 5 à l’heure, sans compter les groupes plus ou moins discrets. Quitte à passer pour un vieux grincheux, j’ai la nostalgie de ces époques plus solitaires… ».

C’est loin d’éteindre le sujet ! Et dans son ouvrage Stanislaw Lubienski ajoute :

« Les photographes du dimanche ne savent pas se contrôler, ils poursuivent les oiseaux avec une inconscience totale, sans leur laisser aucun moment de tranquillité et en les dérangeant dans leur recherche de nourriture ». Et de conclure : « En dépit de l’adage, la fin NE JUSTIFIE PAS les moyens ».

 

En baie de Somme, vue du Crotoy - taux idéal de fréquentation (photo par Axel)

Un autre sujet de discorde, surtout en milieu périurbain, est la cohabitation, sur les rares espaces sinon de nature, du moins de verdure, entre les amoureux des oiseaux et les autres franges de populations. Et l’auteur d’évoquer le sujet. Cela se passe du côté de Varsovie :

« Une chaleur accablante, l’air immobile, inerte, et la lampe du soleil allumée dès le point du jour. Les troupeaux arrivent dès l’aurore avec leurs crocodiles gonflables, leurs transats et leurs draps de plage imprimés de bonnes femmes nues. Des foules d’hommes torse nu. Une exhibition des corps peu appétissants et de tatouages difformes. Sonneries de téléphones portables. De vieux Homo sapiens mâles se rafraichissent dans l’eau tels des hippopotames poussifs. Des mamies se font bronzer à demi dévêtues. Les préposés aux barbecues surveillent leurs braises avec zèle et chaque buisson dégage une odeur de pisse. A joutez à cela les détritus. Des monceaux de canettes vides. Des emballages en aluminium nagent majestueusement sur l’étang et des goulots de bouteilles dépassent timidement des roseaux »[7].

Qui n’a pas vécu ce genre de situation ? (Qu’on soit d’ailleurs miroiseur ou simple amoureux du calme). Voir à ce sujet cet autre billet : Un dimanche aux Cinq Tailles

 

Pluviers argentés au repos ( Photo par Axel)

Mais il est question de bien d’autres choses dans ce plaidoyer pour les oiseaux. De James Bond, l’ornithologue ; de peinture et de cigognes, avec l’évocation d’un peintre polonais Jozef Chelmonski et son tableau éponyme. Des cigognes encore et du suivi des nidifications, de leur recul… A propos d’ailleurs de ces oiseaux l’auteur relève que : « l’ancien Testament rangeait la cigogne parmi les oiseaux impurs et prohibait la consommation de sa chair »[8]. Et de citer : « Parmi les oiseaux, voici ceux que vous aurez en horreur et dont, par conséquent, vous ne mangerez pas : l’Aigle, le Gypaète, l’Aigle marin, les différentes espèces de vautours, toutes les espèces de corbeaux, l’Autruche, la Chouette, la Mouette, les différentes espèces d’éperviers, le Hibou, le Cormoran, l’Ibis, le Cygne, le Pélican, le Charognard, la Cigogne, les différentes espèces de hérons, la Huppe et la Chauve-souris »

 

Grands cormorans en vol au dessus des vagues (Photo par Axel)

Au fil des pages, et autres périples de l’auteur, on croisera avec plaisir aussi et surtout moult espèces ailées – furtivement ou plus amplement. J’en cite ici une poignée : la barge rousse, les roitelets huppés et triple bandeaux, la mésange noire, l’autour des palombes, le faucon pèlerin, le jaseur boréal, le pouillot siffleur, la chouette de l’Oural, la grive musicienne, le pic noir, le pic syriaque, le blongios nain, le rollier d’Europe, le rougegorge, la sterne arctique, etc.


Evoquons encore le sort de la Tourte voyageuse, espèce de pigeon exterminée par l'homme en quelques dizaines d'années. Le grand pingouin, décimé lui aussi à la fin du XIXe siècle ...  

 

A sa façon le Parti pris des oiseaux est un livre tragique.

 



[1] Page 54

[2] La dernière illustration en date, il y a peu : au détour d’un virage, non loin de la forêt de Crécy, un oubli de la route pour avoir vu un rapace en vol aux ailes blanches et pointes noires. C’était un beau mâle de busard Saint-Martin en migration, plutôt rare en nos contrées.

[3] Ajoutons aussi certains documentaires ou spectacles de toutes sortes.

[4] P 126

[5] Les pires sont ceux qui n’éprouvent pas d’intérêt particulier pour les oiseaux, et qui souvent ne savent pas ce qu’ils photographient, pratiquant cette activité de loisir d’une manière indifférente. Ils pourraient tout aussi bien « faire » du paysage, du portrait, ou n’importe quoi d’autre… Mais la chasse photographique est à la mode, alors c’est ce qu’ils font- et ils cherchent la coche ! Parfois même il sont nettement mieux équipé que le véritable passionné, trimbalant en bandoulière des milliers d’euros, vêtus comme pour un safari.

[6] https://phototrend.fr/2017/01/david-wolberg-coup-de-gueule-ethique-photo-animaliere/

[7] Page 157

[8] Page 113

25 sept. 2021

Nostalgie ou réminiscences. Fragments d’Egypte …

Karnac (photo par Axel)


Relisant de vieux textes, à secouer la poussière des souvenirs. C’était fin mars 1996. Il y a 25 années déjà ! 

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Fragments d’Egypte.

Louxor par force des choses – avarie mécanique. Fatigués mais
curieux. Magie indolente, sereine sous un soleil crépusculaire qui embrase le désert. Le soir tombe si vite… Dans le bus. Population d’un autre âge qui longe les pistes approximatives. Un joyeux bric-à-brac. La nuit nous avale ; les phares font aux mules des regards de fauves – effarés. 

Le bateau, écrasés de sommeil. 

Réveil au paradis ! 

Le Nil. Jaune, vert, bleu… Couleurs des dieux anciens. Des felouques en désordre plantées sur l’eau à l’approche d’Assouan.

L’obélisque inachevé ne laissera pas un souvenir impérissable. Non… Mais les marchands qui se font pressants !

Temple de Philae, dédié à Isis. Des prêtres rasés, épilés, longent les murs tels des spectres anachroniques. La pierre nous conte l’épopée des peuples mystérieux de la lagune.

Sur la rive des morts un village Nubien, arrangé pour les passages de touristes. La meule et l’enfant… Oublions cette mise en scène et retournons à Assouan qui s’étire le long de la rive orientale du fleuve mythique.



Il est quatre heures du matin et nos phares fixent le sud pour embrasser la frontière du Soudan. Trois longues heures de morne sable. Quelques caravanes et d’incertains mirages pour secouer ma torpeur. Contemplation du vide. Les chameliers viennent de l’autre coté de la frontière, car là bas le commerce est moins prospère qu’ici. C’est dire. A proximité du lac Nasser une colonie de pélicans blancs se repose.     

Abû Sim Bel. Regard fracassé. Majesté indifférente qui en impose.

Mausolée de l’Agha Khan : aucun autre intérêt que la vue sur Assouan. Pourtant vu d’en face la saignée dans la colline intrigue.  Les hypogées des princes d’Eléphantine… Deux traits de poussière, suspendus au dessus des jardins tropicaux de Lord Kitchener d’où s’échappent des effluves de tam-tam. Un nuage d’aigrettes aussi. Le regard des jeunes femmes se fait plus ardent. 


Des felouques, sur le Nil à Assouan (Photo par Axel)

Le soleil s’est abattu, oblique sur les colonnes d’un temple ambigu ; double sanctuaire dont la partie septentrionale se trouve dédiée au faucon Haroeris, Horus l’ancien. Quant à la partie méridionale, c’est la demeure de Sobek, le dieu crocodile. Le soir s’étire. Kom Ombo s’embrase.


Temple de Kom Ombo (photo par Axel)

Plus tard, le temple d’Edfou, plus récent. Traversée d’une ville sordide dans une calèche à touriste… Je regrette la beauté paisible d’Assouan.

Temple de Louxor. Souillé par l’urbanisme ; des bus qui apparaissent entre les colonnes. La nuit s’installe, et dans l’enceinte du ‘harem du sud’ la magie demeure. Ramsès II, vêtu de granit noir, scrute le visiteur d’un œil étrange… Perceur d’âme !

Dans le temple de Karnak, maison d’Amon Rê ; la plus vénérée des places – Ipet Sout – Je voudrais saisir les l’ésotérisme des pierres ! Et lorsque le regard s’élève le long des colonnes de la grande salle hypostyle, l’homme se trouve enclin à la prostration ; non pas devant les dieux mais devant lui-même…

Thèbes ouest. La vallée des rois. Les couleurs d’un parcours initiatique dans l’au-delà. Vaincre le temps ! Humaine obsession. L’enfer c’est dehors ! …

Thèbes ouest. La vallée des rois. Les couleurs d’un parcours initiatique dans l’au-delà. Vaincre le temps ! Humaine obsession. L’enfer c’est dehors ! …
Deir El Bahari est la demeure d’Hatshepsout… Impressionnant de loin. Légèrement oppressant de près lorsque l’on sait que des fanatiques armés ont dégringolés ici de la montagne pour assouvir leur envie de carnage ; qu’il y a aucune échappatoire possible. 
Puis les colosses de Memnon. C’est très étrange que de les voir là, inutiles vigies posées le long de la route – c’est plutôt la route qui est venue à eux – Je me prends à rêver écouter leur chant mystérieux. Un monde magique révolu… 

Les colosses de Memnon (photo par Axel)


Dernier regard sur le fleuve ; ce Nil noir qui irrigue mes sens… J’ai rendez-vous avec le froid, la bruine, la trivialité : sans décadence point de phœnix imaginable. 

Extrait d’un poème Egyptien d’époque pharaonique : 
« Ton amour est dans ma chair comme le roseau est dans les bras du vent ». 

6 sept. 2021

Sur la plage, après Nieuport

 

En Belgique, près de Nieuport (photo par Axel)

Après Nieuport, en direction d’Ostende, le long de la mer, l’urbanisme est d’un laid abyssal. Il y a cependant une esthétique du moche. Une ambiance particulière qui fait songer à certaines toiles d’Hopper ; chacun isolé - pseudo-monade Leibnizienne, à poursuivre sa trajectoire éphémère...

 

Il faut imaginer une triste barre d’immeubles de béton, étirée sur plusieurs kilomètres, fabrications stéréotypées et menaçantes, d’une hauteur suffisante pour empêcher toute espérance de soleil dans la rue rectiligne qui longe la plage ; cette ondulation de sable, aux allures de vague figée dans son élan.

 

C’est si vaste que la populace s’étire et s’étiole au point de ne plus former que des grappes éparses de vie. Un rêve affreux à la démesure des profits escomptés. Les cages d’habitation sont prises en sandwich entre deux coulées de béton, car il faut bien « rendre possible » le flux des véhicules et des promeneurs, jetés là en pâture à leurs envies de « nature » et de « convivialité » à chaque giclée des feux tricolores. Rien de plus artificiel.

 

Inhumain... (Photo par Axel)

Seul réconfort, ces troupes de goélands argentés au repos, indifférents à nos difformités. Les rejoignent quelques mouettes rieuses. Il n’y a pourtant pas de quoi s’esclaffer – à moins qu’il ne s’agisse du rire sarcastique de la mouette de Gaston La gaffe.

 

Mouettes & goélands (Photo Par Axel)

Mais en Belgique point de pass-sanitaire ! Point cette injonction à la soumission volontaire, au nom d’une oxymorique « liberté ». Pas de slogan à hauteur du si stupide « je sauve des vies, je reste chez moi » !

 

Alors trouvons un restaurant en terrasse …

La bière est bonne, les moule succulentes et les frites avenantes…


Sans Pass ! (Photo par AV)

Et puis, l’amour !

14 juin 2021

Du radeau des cimes à l’Arbre-Monde, ou l’inverse

 

Arbres en Bourgogne (Photo par Axel)


Je viens de refermer la dernière page de « L’arbre-Monde », roman de Richard Powers paru en 2018. Ce livre, cadeau magnifique, porte en ses pages la misère contemporaine des arbres et des forêts. Le saccage nous incombe … Juste en passant, puisqu’il parait que nous sommes à la saison de l’Euro de football : « chaqueseconde, l’équivalent d’un terrain de foot de forêt tropicale humide disparaît ».

Mais revenons au roman : c’est là un pavé captivant ! Bien sûr il y a des métaphores ou des passages quelques peu sibyllins, des envolées sorties tout droit de la mouvance « Gaïa » … Mais « L’Arbre-Monde » c’est, et cela reste avant tout, un plaidoyer écologique ; mais non pas d’un style gnan-gnan. Non, les pages tissent une épopée tragique. La lutte est inutile, les sacrifices vains ? Que faire de notre hubris, de cette « intelligence » retournée contre l’espèce elle-même, contre le vivant en général ? Telles sont quelques-unes des questions posées par le livre – à chacun sa réponse – l’auteur livre juste des possibles.

Sur le fond, la beauté brute de ces histoires intriquées, ou plutôt reliées entre-elles à la façon d’un réseau de racines, donnent le pouls à cette prose si singulière de Power. On aimerait que cela dure encore un peu ; on rêverait d’une touche d’espoir plus tangible. Mais voilà, le monde va comme il va …

Bref, on l’aura compris c’est un livre à partager et à faire connaître.

 

Le lisant je ne pouvais m’empêcher de songer à Francis Hallé, à son Radeau des Cimes et son « Plaidoyerpour l’arbre »

En 2010 j’étais tombé par hasard sur la semaine « A Voix nue » sur France culture, en compagnie du botaniste. C’était un soir, la troisième semaine de Mai. Je ne connaissais alors le projet « Radeaux des cimes » que vaguement. Mais au-delà de cette odyssée des canopées tropicales je fus subjugué par le personnage ; cette sorte de paysan à l’œil et au cœur de poète. Un homme doté d’une sensibilité et d’une acuité à même de transmettre sa passion. Un esprit singulier et personnage atypique. Un franc parler, des mots simples pour dire des choses d’une profondeur juste. J’avais eu l’envie de partager ces émissions, me coltinant la transcription des deux premiers volets (il y en avait cinq).


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Arbres souterrains

J’ai vu les plus belles plantes du monde et c’est une source ininterrompue de surprise et d’admiration. Je suis allé en Argentine récemment et j’ai vu des choses que je ne pouvais pas imaginer. Des arbres souterrains. Ca se présente comme une grande tâche des feuilles ; des feuilles et des fleurs qui sortent du sol, c’est tout. Lorsque le feu passe, parce que ça brûle chaque année, il n’y a plus rien. C’est l’hiver. Dès que les pluies arrivent les feuilles ressortent. L’arbre il a grandi un peu. Quand on mesure à quelle allure la tâche s’élargit, on peut calculer l’âge de cet arbre. Ce sont des milliers d’années ! Des très gros arbres souterrains. Alors moi qui m’étais donné beaucoup de mal pour faire une définition de l’arbre, je peux vous dire que tout s’écroule. "  

Qu’est-ce qui vous a fait pencher pour la botanique tropicale ?

Tout simplement parce que c’est dans les tropiques humides, autour de l’équateur, qu’il y a l’énorme majorité des plantes du monde. On a démontré après que tous les grands groupes de plantes, que ce soit les fougère, les graminées ou les orchidées, sont nées sous les latitudes équatoriales. Et puis, il y a celles qui ont dû rester et qui y sont toujours, et puis quelques plantes, qu’on pourrait dire aventureuses, qui se sont avancées en Europe, et même jusqu’au cercle polaire. Mais c’est une petite minorité. (…) Je vais me permettre un métaphore musicale : imaginez un énorme orchestre qui joue sous l’équateur. Quand vous êtes sous l’équateur vous êtes aux premières loges, vous en profitez pleinement. C’est la faune et la flore. Et puis ici, en prêtant l’oreille, vous entendez du côté du sud un écho très assourdi. C’est ça qu’on a comme faune et comme flore ici, ce n’est trois fois rien. Alors c’est sympathique, j’aime bien les plantes d’ici, mais il faut les comprendre comme des émanations très lointaines d’une énorme origine équatoriale ".    

 

Le métier et les études de botaniste

Dans les années 1990, les études de botanistes ont été supprimées en France. A l’université il n’y a plus de botanique. Il y a encore des travaux sur les plantes, mais c’est très spécialisé ; il faut avoir acquis ailleurs la formation de botaniste. Je trouve ça scandaleux. La botanique n’a pas déméritée, nous avons en France, et notamment à Montpellier, une tradition botanique très ancienne et très vénérable. Je pense que le ministre a été mal conseillé. (…) C’est très grave erreur, et c’est d’autant plus ridicule que a peu près vers la même époque le grand public a commencé à se passionner pour la botanique."  

Le sous-bois dans les forêts équatoriales (différence forêt primaire et forêt secondaire).


Ce qui frappe c’est que c’est extrêmement sombre. 0,1% de l’éclairement total. C’est à dire que c’est comme dans une cave. L’œil s’habitue, mais c’est vraiment très sombre. Une autre chose qui frappe, c’est que c’est totalement calme. Vous levez les yeux, vous voyez la cime qui se balance, donc il y a un alizé très fort là-haut, à 50 mètres au-dessus de vous, mais là où vous êtes, vous allumez une cigarette, vous voyez la fumée qui monte tout droit : pas un souffle. C’est compréhensible, il y a une rugosité là-dedans qui fait que le vent ne descend pas au niveau du sol. Qu’est-ce qui frappe aussi ? Les sons. D’ailleurs votre propre voix vous ne la reconnaissez pas. Parce que vous êtes entouré de pleins d’obstacles physiques, sous forme de feuilles ou de branches, et quand vous parlez vous vous dites : mais tiens, qui est-ce qui parle ? Ce n’est pas votre voix. C’est très curieux. Si on est perdu, bon ça ce n’est pas drôle, mais quand on veut se faire entendre de loin il ne faut pas crier, parce que ça ne passe absolument pas. Trois mètres plus loin on ne vous entend plus. Il faut prendre un madrier et taper sur un contrefort. Il faut faire un bruit très sourd, ça s’entend à des kilomètres. Parmi les choses qui frappent aussi, on ne voit pas d’animaux. On sait qu’il y’en a. D’ailleurs de temps en temps on sent une bête qui s’enfuit à toute allure en faisant un bruit de feuilles mortes, mais on ne les voit pas. Alors en regardant de près un tronc d’arbre on s’aperçoit qu’il y’en a plein. Mais ils sont verts ou bruns et ils ne bougent pas. Et nous on est sensible aux mouvements. Si l’animal ne bouge pas, on ne le voit pas. C’est pas du tout dangereux, on y est très bien (…) Parmi les idées fausses : dans les belles forêts primaires que j’ai visitées, vous pouvez courir, vous pouvez faire du vélo. Les seuls obstacles sont des bases de troncs énormes, mais sinon le sol est nu. Ça ce sont les forêts primaires, attention que ça se fait très rare. C’est une forêt qui n’a pas été abîmée par l’homme, ou alors si elle l’a été, il s’est passé un nombre de siècles suffisants pour qu’elle redevienne primaire : c’est de l’ordre de 7 ou 8 siècles. De temps en temps un arbre tombe, c’est important de le savoir. Il n’y a pas besoin qu’il y ait du vent. L’arbre tombe : qu’est-ce qu’il lui est arrivé ? il est investi par une liane qui grandit à toute allure, et puis d’un coup, crac, le poids est excessif et l’arbre tombe. C’est ça les dangers. Mais les animaux pas du tout. Les animaux on est très content de les voir. Il n’y a pas d’insectes dangereux. Dans les forêts primaires y a pas vraiment de danger. (…) Vous pouvez toujours regarder ce qui se passe en haut, là c’est très curieux. Parce qu’en haut on voit les arbres qui bougent, on voit la faune, très mobile, très brillante. On voit les fleurs, on s’aperçoit que c’est couvert de fleurs, elle ne sont tout simplement pas en bas, elle sont en haut. Elles sont en haut. Et donc il faut aller en haut. Moi je suis mon idée. Je tiens à voir l’endroit où il y a le plus de vie sur terre, et maintenant je sais où : ce sont les canopées de ces forêts là (…) Le sous-bois : pour en profiter pleinement il faudrait faire un mètre par heure. Ceux qui commencent à faire du jogging là-dedans ils ne voient rien, ils sortent en disant : y a que de la salade verte, ça n’a aucun intérêt. J’en ai vu beaucoup. Plus vous allez lentement, plus vous allez voir de choses. Il faut retourner les feuilles, il faut écarter les feuilles mortes, il faut regarder partout. Il faut faire le tour des tiges et des petits troncs. C’est passionnant mais il faut aller très lentement. Il y a des gens qui exècrent ces forêts. Une chose me frappe, c’est que dans les films grand public, (…) la forêt qu’on vous montre, ce n’est pas la forêt primaire. C’est la forêt secondaire. Canopée déstructurée, beaucoup de lumière au sol. Evidement des plantes qui poussent, car il fait chaud et humide. Et là vous êtes obligé de tailler votre route à la machette et puis vous avez des insectes en permanence. C’est pas du tout agréable. En plus ça n’a aucun intérêt économique, et sur le plan biologique y a beaucoup moins d’espèces, c’est beaucoup moins intéressant. C’est ça qu’on nous montre au cinéma. J’insiste sur le fait qu’il y’en a deux. La primaire qui est la vraie, hélas il y’en a plus beaucoup, et puis la secondaire, qui est celle que laisse l’homme une fois qu’il a tout saccagé… je ne suis pas tendre pour le travail des êtres humains dans les forêts tropicales, c’est franchement moche !

 Le sous-bois la nuit

Ça vaut le coup de voir le sous-bois la nuit. Il faut se jeter à l’eau, si je puis dire. J’aime bien. Sortir à 3 heures du matin sans lampe. C’est un spectacle étonnant ! D’abord vous avez un concert de tous les animaux. Le concert démarre quand le soleil tombe. Pendant la nuit c’est extraordinaire. Cependant ce concert il est là-haut, il n’est pas au niveau du sous-bois, il est dans la canopée, mais enfin on l’entend très bien. Et puis il y a des lucioles ; des paquets de lucioles qui clignotent partout en volant. Et puis sur le sol vous voyez, en belle forêt primaire, là où le sol est bien dégagé, vous avez des champignons phosphorescents sous forme de grandes lueurs mauves ou orangées, et ça se déplace, ce n’est pas stable. Ca s’éteint là, ça s’allume là, ça pulse. C’est très curieux. "  

 L’aube

Il y a ce que les anglais appellent ‘dawn corress’. Le concert s’arrête et c’est uniquement les oiseaux…Toute la faune d’oiseau se met à chanter ".

 Sur la littérature scientifique contemporaine (botanique)

Vous envoyez à une revue un travail scientifique. S’il y a la moindre allusion à ce que vous disent vos sens le papier sera refusé. Ce que nous disent nos sens, c’est considéré comme totalement subjectif, donc entaché de risques d’erreurs, et puis à la limite ce n’est pas de la science. C’est de la poésie, c’est de la philosophie, c’est tout ce qu’on veut. Alors je me bats contre ça. Parce que quand je suis dans une forêt équatoriale, il y a que ce que me disent les sens. Il n’y a rien d’autre. Dans un premier temps, c’est ce que je vois, ce que je sens, ce que j’entends, c’est ça qui compte. Le résultat c’est que les beaux livres consacrés aux forêts équatoriales, je les trouve assez nuls, parce qu’il n’y a rien de sensuel là-dedans. Attendez, pour identifier les arbres, on ne voit pas les feuilles, elles sont trop hautes. Donc on fait une petit blessure avec un couteau, on met l’oreille dessus, la plupart ne font pas de bruit, faut reconnaître, mais de temps en temps il y’en a un qui fait comme un soda, vous entendez les bulles… Ca ça nous permet d’identifier les arbres. On sent l’odeur de la coupe. Alors ça, c’est un excellent critère, mais seulement les odeurs c’est curieux, vous ne pouvez pas les décrire, vous pouvez juste procéder par comparaison (…) On est obligé de procéder comme ça. Et ça marche. Et c’est très stable, vous retrouvez le même arbre le lendemain, il sent la même chose. Alors quand les revues scientifiques nous censurent parce qu’on fait état du témoignage de nos sens, je me dit qu’ils sont complément à côté de la plaque. Dans un labo, oui. Mais pas en forêt. (…) Il y a un côté faux cul là-dedans… Il ont qu’à y aller ils verront bien

 



Biodiversité


Dans notre connaissance collective de ce qu’on appelle la biodiversité, il y a une date critique : c’est 1982. Avant 1982 vous demandiez à un naturaliste combien d’espèces il y avait sur la terre et il aurait dit 3 millions. En 1982 un collègue que je connais bien, Terry Erwin, a fait les premiers travaux de dénombrement des insectes dans une canopée tropicale. Il mettait au niveau du sol un espèce de canon envoyant du gaz toxique, qui montait jusque dans le haut des arbres, et donc les insectes étaient tués et tombaient sur le sol. Ce n’est pas une méthode très élégante, mais quoi qu’il en soit, en faisant ce travail-là en un point A puis en allant le faire à un point B à 100 mètres de là, il s’est aperçu que les espèces n’étaient pas les mêmes. Donc ça a fait la base d’un calcul, et en 1982 notre biodiversité terrestre est passée de 3 millions à 30 millions. Un facteur 10. Juste pour quelques heures de travail dans une canopée de forêt équatoriale. Et puis il y a tous les insectes qui meurent et qui s’accrochent, donc c’était par défaut. Il n’empêche que c’est à ce moment-là que je me suis dit, c’est la haut qu’il faut travailler ".  

 

Le radeau des cimes

L’affaire a commencée en 1983 (…) Le gros avantage d’un ballon à air chaud, c’est que la sustentation dans l’air ne dépend pas de la propulsion. Même si vous avez une panne de moteur ça ne va pas tomber (…) C’est silencieux. La faune ne sait pas que vous êtes là. (…) J’ai commencé par faire des vols en montgolfière seule, avec un panier en osier. Je peux regarder les choses mais ça va trop vite. Le pilote me dit : je ne peux pas ralentir, c’est le vent qui me pousse (…) Si tu veux que m’arrête il faut qu’on dégonfle. Bien je luis dit : dégonfle. Ah non, il me dit, ça je ne peux pas dégonfler l’enveloppe de mon ballon sur des arbres parce que sinon ça va s’accrocher et on ne pourra plus regonfler. Et là il m’a dit qu’il faudrait une espèce de plate-forme qui entourerait notre nacelle, et sur laquelle je pourrai dégonfler. Et la radeau des cimes au départ c’était ça. (…) Au bout d’un certain temps on s’est dit, mais c’est idiot, pourquoi faut-il que notre appareil porte 100 kilos de ballons ? Il ferait mieux de porter 100 kilos de chercheurs. Il vaut mieux que le ballon s’en aille par en haut. Voilà comment c’est né. On a fait un radeau, et quand il est en place le ballon s’envole et nous on monte y travailler. Ca suppose tout de même un moteur, on ne peut pas faire ça avec une montgolfière classique. (…) En 1989 (…) dirigeable à air chaud, il fait plus de 53 mètres de long. (…) Je vous raconte comment ça se passe : On met ça en place au lever du jour. Simplement, au lever du jour à cette latitude là on est dans la brume. On a une bâche plastique qui nous sert de terrain de décollage. On met le radeau sous le dirigeable (…) Il faut avoir volé la veille et repéré les bons endroits avec un GPS très précis. Parce qu’on ne peut pas se poser n’importe où. Le dirigeable amène le radeau, l’enfonce un peu dans le sommet des arbres et puis il largue ses amarres et il retourne au camp. A ce moment-là le radeau est à la disposition des scientifiques, il recouvre une dizaine d’arbres, une quinzaine d’arbres, sans compter les lianes et les plantes épiphytes. Sa surface est de 600 m2 pour 600 kg. Un kilo du m2. Ce n’est vraiment rien du tout pour une forêt. Ça nous permet de tenir sur un milieu qui est assez mou, assez souple.

Quelle impression dans la canopée ?

" D’abord vous ne voyez pas le sol. Vous êtes dans une lumière énorme. (…) Il y a une métaphore marine qui s’impose. Ca bouge, comme un catamaran en haute mer. On est amarrés en permanence, comme sur un bateau en haute mer, car on n’est jamais sûrs que les branches qui nous portent ne vont pas casser. On ne peut pas vérifier la solidité de tout ça. D’ailleurs y’en a plusieurs qui sont passés par-dessus bord. Fort heureusement ils étaient attachés, donc ça s’est terminé en rigolade. On n’a jamais eu d’accident (…) On est très sensibles au vent, et quand il y a un grain qui arrive on dit : ça c’est pour nous. Et puis quand le vent arrive, le truc se met à bouger, ça fait comme une espèce de gros bateau. On se réfugie dans une tente (…) Vous avez l’impression d’être dans un vieux jardin pas très bien entretenu. Il y a des cimes d’arbres et puis il y a des plantes, des lianes qui poussent comme ça (…) C’est le vrai visage de la forêt, c’est pas du tout le sous-bois.  

Le premier choc

C’est drôle de voir les collègues après… Je regardais leur comportement. Ils sortent du trou d’homme et ils sont complètement sonnés. Le gars il s’assoie sur le bord et il essaie de comprendre ce qui lui arrive. Et d’abord il y a cette énorme lumière et puis le vent qui est agréable aussi. Et puis la faune aussi, la faune immédiatement comme des bijoux ; des fleurs partout – c’est ça qui nous manquait en bas. Des odeurs de fleurs indescriptibles. Des roses de juin, de la glycine, des narcisses, et tout ça mélangé. (…) Il faudrait filmer tout ça pendant qu’il est encore temps, pendant qu’il y’en a encore ; parce que la forêt est détruite et que dans les forêts secondaires vous n’aurez pas ça. (…) [Dans la canopée] il y a très grande énergie. (…) La canopée n’est ni hostile ni accueillante. C’est ce qui m’intéresse, elle n’est pas faite pour nous ; elle se moque totalement de la présence de l’être humain. C’est l’altérité. (…) On se fait petit, on essaye de comprendre. C’est d’une complexité monstrueuse. C’est l’endroit au monde où il y a le plus de biodiversité. De très loin. Même le milieu marin avec les récifs de coraux, ça n’est qu’une toute petite fraction de la biodiversité que nous avons dans la canopée. C’est de l’ordre de 15%. Pas plus ".

Ce qu’on fait entre autre dans la canopée

On récolte des morceaux pour l’analyse de l’ADN. C’est comme ça qu’on a trouvé qu’il y a plusieurs génomes dans le même arbre. (…) La biochimie nous a beaucoup intéressée. On compare les feuilles du bas de la plante et les feuilles du haut, et il y a, à peu près, cinq fois plus de molécules actives en haut qu’en bas. Il y a plusieurs réponses (à cela) : les animaux sont en haut. 75% de la faune est en haut, et dans ce nombre il y a énormément d’herbivores. Donc au niveau de la canopée les plantes doivent se défendre. C’est des molécules dissuasives. Qui peuvent nous servir de molécules à fonction médicinale. Il y a une toxicité qui à faible dose intéresse les médecins.  

 

Une nuit la haut

Si on a décidé de passer une nuit la haut c’est qu’il fait beau. Donc vous avez le ciel au-dessus de vous, sans aucune pollution lumineuse. Vous voyez toutes les étoiles et la voie lactée qui traverse tout ça, c’est absolument génial. Vous regardez au travers du filet et vous avez les lucioles qui clignotent. C’est un spectacle difficile tellement c’est étrange, et tellement c’est beau. N’oubliez pas le concert, qui au début de nuit est à son maximum. Et c’est un concert très étonnant la aussi. Car s’arrête d’un côté et ça reprend de l’autre. On a l’impression qu’il y a un chef d’orchestre. Tout d’un coup le vallon devient silencieux et puis c’est la crête qui se met à crier. (…) Et les odeurs aussi… Parce qu’on est entourés de fleurs. Ce sont pas du tout les odeurs un peu tristouilles du sous-bois, c’est des odeurs magnifiques et la nuit elles sont exacerbées... (…) "

 

Quel pourcentage reste-t-il de la forêt primaire ?

" Oh, dans dix ans c’est fini ! "