Blogue Axel Evigiran

Blogue Axel Evigiran
La dispersion est, dit-on, l'ennemi des choses bien faites. Et quoi ? Dans ce monde de la spécialisation extrême, de l'utilitaire et du mesurable à outrance y aurait-il quelque mal à se perdre dans les labyrinthes de l'esprit dilettante ?


A la vérité, rien n’est plus savoureux que de muser parmi les sables du farniente, sans autre esprit que la propension au butinage, la légèreté sans objet prédéterminé.

Broutilles essentielles. Ratages propices aux heures languides...


26 janv. 2019

Schuiten dans les rues de Semur-en- Auxois


Juste déambuler en automne dans les rues de Semur-en-Auxois, bourg si joli enroulé autour de sa rivière…

Et se laisser porter au gré des divagations pédestres dans les venelles aux murs emplis de labyrinthes ; esprits mutins aux couleurs amples.

Croiser l’archiviste et ses dessins, tapissés çà et là !










La ville respire.... Impassible.


Borgès hante les rues... 


23 janv. 2019

Silent spring, ou de la disparition des oiseaux… L’anthropocène.




Série documentaire sur France Culture ; cycle intitulé : Bienvenue dans l’anthropocène... 




Vincent Bretagnolle, écologue, agronome 

(Voici) des forages réalisés dans les années 90, car il y avait beaucoup de subventions pour les cultures irriguées à cette époque-là. Ce sont des forages profonds : c’est-à-dire que l’eau utilisée pour l’arrosage est de l’eau de nappes phréatiques assez profondes (60/80m) ; c’est une eau cristalline et qui a des dizaines de milliers d’années, alors que dans les villages et les communes ici l’eau du robinet est interdite aux nourrissons parce qu’il y a trop d’azote et trop de pesticides dedans !  (…)
Cela résume bien le paradoxe de l’agriculture intensive moderne…

(Interview de Vincent Bretagnolle sur le journal du CNRS : ici)

C’est le résultat de deux observatoires. Le premier placé ici : celui de l’atelier plaine et val de Sèvre, dans lequel on compte les oiseaux depuis 25 ans, exactement sur les mêmes localisations (il y’en a 160 au total). Ce sont des comptages très standardisés, très précis. Et il y a un deuxième observatoire mené par le Muséum d’histoire naturelle à Paris, qui est un observatoire national, avec à peu près le même nombre de points d’écoutes, mais distribués sur l’ensemble de la France.
Chaque année ces deux observatoires publient les résultats de nos comptages annuels et en échangeant avec les collègues du muséum nous nous sommes rendus compte que les deux observatoires aboutissaient exactement à la même conclusion à un point qu’on avait difficilement imaginé. Car outre le fait que ces 2 observatoires démontrent qu’il y a un déclin très marqué et très prononcé des oiseaux dans les milieux agricoles, quand on quantifie ce déclin on aboutit au pourcent près à la même valeur de déclin par exemple pour l’alouette des champs qui est l’espèce la plus abondante et qui fait partie de celle ayant le plus décliné. (…) Nous étions face à une élimination progressive de la biodiversité dans les campagnes françaises, qu’on peut très bien mesurer chez les oiseaux car c’est plus facile de compter les oiseaux que les vers de terre… Nous sommes face à des vagues d’effondrement sans précédent… Pour les oiseaux c’est un déclin d’environ 35% des effectifs en l’espace de moins de 20 ans !
Là sommes en période de migration et il n’y a rien, on entend juste une alouette… La plupart de ces oiseaux migrent de nuit, mais ont besoin de sites au petit matin pour se poser. Nous devrions être dans des endroits où il y a énormément d’oiseaux en repos diurne. C’était le cas il y a encore 10 ou 20 ans, où il y avait, dans ce type de milieu, beaucoup de vanneaux, des pluviers, des outardes, plein de passereaux migrateurs notamment les alouettes et les bruants. Là on ne voit rien car il y a rien à manger… Ils peuvent éventuellement se poser là en attendant la nuit suivante mais ils ne pourront pas se nourrir et reprendre un peu de force. Donc c’est très pénalisant pour l’ensemble des oiseaux d’Europe. Et on est sur une zone (centre-est de la France) qui est une zone d’étape clé pour la plupart de ces oiseaux qui migrent car on est à peu près à la moitié de leur grand chemin jusqu’à l’Afrique du nord puis le Sahara…

Lien vers l'image & billet d'où c'est tiré (Cliquer ici)


Dominique Bourg, philosophe :

Quand on dit compromettre les conditions d’habitabilité des êtres vivants cela signifie que tous les êtres vivants, quels qu’ils soient, on une fourchette de température dans lesquels ils peuvent s’épanouir. (…) Il faut bien comprendre que toutes les espèces qui vivent aujourd’hui ont vécues depuis 2,6 millions d’années en gros, avec le quaternaire. Et avec le quaternaire on avait des cycles avec 20.000 ans d’interglaciaire et 80.000 ans de période glacière. Durant les 80.000 ans de période glacière, l’ensemble des vivants se réfugiait entre les tropiques, et on n’a jamais connu durant toute cette période de température supérieure à +2 degrés par rapport à la température qu’on connaissait à la fin du XIXe siècle.
Donc si on excède les 2 degrés, on sort de ce tunnel de variation des températures auquel les espèces vivantes sont adaptées. Là on voit bien que si on est sur une planète avec un climat qui a fortement changé, avec des événements extrêmes, si on doit régulièrement se terrer pour ne pas mourir, si on a peine à se nourrir parce qu’on a des eaux avariées, des vagues de chaleur et de sécheresses, etc. – je rappelle qu’avec un scénario à 3.7 (étude publiée par des chercheurs de météo France), on arriverait à des pointes dans l’est de la France à 50/55°C. Et ça c’est si on prend le côté physique. Maintenant si on prend le côté biologique, on peut imaginer que le vivant autour de nous s’effondre, on ne va pas finalement au bout du compte être en pleine forme, d’autant que le vivant nous assure tout un tas de services écosystémiques…

Vincent Bretagnolle :
Aujourd’hui on n’est plus dans une problématique de développement durable. La problématique d’aujourd’hui est celle de la résilience. C’est-à-dire qu’on a déjà utilisé une grosse partie des énergies disponibles sur la planète, on arrive en limite de capacité d’utilisation des terres, nous sommes en train de sortir de l’enveloppe climatique qui a permis à l’homme des sociétés modernes, agricoles puis industrielles, de s’épanouir, donc on n’est plus dans la durabilité. On va changer de système. Donc la question qui se pose aujourd’hui aux sociétés humaines et aux écosystèmes et comment absorber les chocs qui s’annoncent (climatiques, financiers, environnementaux) et être résilients : c’est-à-dire avoir la capacité de s’adapter, voire de se transformer tout maintenant les fonctions vitales…. Les problèmes sont aujourd’hui non seulement colossaux mais systémiques : les crises environnementales sont des crises plurielles qui touchent la biodiversité, le changement climatique, la problématique de l’eau, de l’énergie, de l’alimentation, la pauvreté, l’insécurité. Tout est lié.

XXX : 
On voit toutes les courbes monter au ciel à partir des années 50. Si vous êtes un peu niais et transhumaniste, vous pensez que c’est voué à progresser comme ça à l’infini et vous imaginez que le pouvoir technique humain va devenir infini. Si au contraire vous avez une petite connaissance de la nature, vous savez très bien que les exponentielles ça n’existe pas dans la nature, que les arbres, comme disait Goethe, ne montent pas au ciel… Donc quand vous voyez des exponentielles c’est le signe d’un état critique et que le système va changer d’état. C’est où on est !
La pensée écologique est donc une pensée de la rupture, de la discontinuité, alors que la pensée moderne c’est une pensée de la continuité : l’histoire était continue, le progrès infini, etc.


12 janv. 2019

Au cœur de la Bourgogne, un détour par Cluny…

Vue générale de Cluny, depuis la cour (photo par Axel)


Depuis Lyon, où il fait si bon vivre, se laisser couler en Bourgogne...
Après quelques lacets, dans un paysage tout en ondulation ou filent impassibles les milans royaux, grimper le coteau ou se perche la forteresse de Berzé-le-Châtel, au cœur du vignoble mâconnais. De là, après de paisibles déambulations, détour oisif parmi les tours médiévales, descendre sur Cluny. Sans hâte…

Château de Berzé-le-Châtel (photo par Axel)
Dans l'ecclesia (photo par Axel)
Alors profitons de l’occasion donnée par la découverte toute récente d’un trésor pour évoquer en quelques mots l’abbaye siégeant au cœur du bourg éponyme.
Anne Baud, archéologue du fait religieux (médiéval), nous raconte[1] comment, presque par hasard, elle découvrit une « enveloppe en tissu contenant plus de 2000 deniers clunisiens, et dedans il y avait un autre petit sac en cuir qui contenait des pièces d’or, 21 dinars d’or, plusieurs feuilles d’or pliées et une magnifique bague sigillaire (qui fait des sceaux)…
(…) On a 2113 deniers clunisiens, avec 150 oboles (une obole = la moitié d’un denier), c’est extrêmement rare, il y’en a très peu en circulation et puis on a 6 autres deniers qui proviennent d’ailleurs (2 de Meaux, 1 de Bourgogne 2 aussi de Louis VII roi de France). »
La découverte est d’autant plus extraordinaire, qu’au-delà des circonstances fortuites de la trouvaille, c’est la première fois qu’on exhume un tel trésor in situ, dans une abbaye médiévale ; c’est-à-dire à l’endroit même où on l’a déposé, et non dans un remblai ou un champ…

A Cluny se mêlent des ambiances diverses…
Des restes de constructions médiévales étalées sur plusieurs siècles, fabuleuses d’audace et nimbées de majesté étrange, côtoient des bâtiments d’époques plus récentes à l’austérité plâtreuse. Choc des styles, ou l’on devine ou va la préférence du narrateur.
Cluny est la plus grande abbaye de l’occident chrétien. Fondé en 910 par Guillaume d’Aquitaine, le complexe sera déclaré en 955 « Monastère, bourg et place forte ». Sa particularité est de ne dépendre en rien du roi de France.
Monastère bénédictin, Cluny suit au plus près la règle de Saint Benoit, qui essaimera ensuite pour  former l’ordre clunisien. Et des douze moines fondateurs en 910 on en retrouvera, deux siècles plus tard, pas moins de 10.000, répartis dans pas loin de 1500 places européennes. Il y aurait tant à dire…  Mais cela dépasserait largement le cadre de ce modeste billet, dont l’objet est de susciter le pas de côté. 

Déambuler sous les voutes du grand transept, ou ce qu’il en reste, fait sentir au badaud toute sa petitesse. Irisé de lumière le colosse de pierre étire les 25m de son squelette – une colonne vertébrale qui en mesurait 80 à l’origine ; avant que la Révolution ne lui fasse sentir que tout passe ! En effet, en 1791, alors qu’ils ne sont plus qu’une douzaine à hanter les lieux (retour aux sources), les moines célèbrent une dernière messe, alors que le pillage a déjà commencé. Et, en 1798, pour parachever l’œuvre de destruction l’endroit sera déclaré carrière de pierres à ciel ouvert. Parmi les fossoyeurs, un curé défroqué, comme il se doit…

Cloître de Cluny (photo par Axel)

Sous les voutes de Cluny... (photo par Axel)
Mais remontons un instant le temps pour nous arrêter fin 1141, l’année ou Abélard, poursuivi par la vindicte de Bernard de Clairvaux, ce fauteur de croisades et mortificateur en chef,  trouvera refuge et hospitalité à la major ecclesia, l’église de Cluny étant à cette époque la plus vaste de la chrétienté (elle le restera jusqu’à la construction, au XVIe, de St Pierre de Rome). Condamné en juillet, Abélard fort diminué par l’âge et la maladie, à l’intention de faire appel du jugement auprès du souverain pontife à Rome. Il n’y parviendra pas, et mourra en avril 1142 au prieuré Saint-Marcel, rattaché à Cluny. Ses frères lui érigeront un tombeau monumental dans l’abbatiale même.
Mais l’histoire ne s’arrête pas là et je cède la parole à mieux informé que moi :


La suite des péripéties, qui s’étaleront jusqu’en 1801,  est à lire sur le site Tombes et sépultures.

Mais avant de quitter Cluny, visitons la chapelle Jean de Bourbon, monument de poupée, exquis et singulier par ses mesures ; bonzaï de pierre où il fait bon se perdre à l’écart des foules, en ces jours propices de fin d’après-midi lorsque le soleil, invisible s’essouffle au-dessus de la ville.

Et juste avant de rebrousser, passons par le bâtiment du Farinier avec sa charpenter en berceau, vaisseau retourné, daté des années 1275. Et songer que l’histoire de Cluny remonte bien au-delà du Moyen-Age, et que parmi les décombres fut retrouvé un four antique ; témoin d’une continuité d’occupation depuis les époques les plus reculées.

Facéties en la Sainte Chapelle...