Blogue Axel Evigiran

Blogue Axel Evigiran
La dispersion est, dit-on, l'ennemi des choses bien faites. Et quoi ? Dans ce monde de la spécialisation extrême, de l'utilitaire et du mesurable à outrance y aurait-il quelque mal à se perdre dans les labyrinthes de l'esprit dilettante ?


A la vérité, rien n’est plus savoureux que de muser parmi les sables du farniente, sans autre esprit que la propension au butinage, la légèreté sans objet prédéterminé.

Broutilles essentielles. Ratages propices aux heures languides...


21 avr. 2021

Délire de la 5G

 


Feuilletant sans conviction le dernier prospectus de la MEL (la revue de la Métropole Européenne de Lille)[1], je tombe sur une double page intitulée : « Les usages de la 5G en test », dont le bandeau d’introduction se termine par : « Le but : faire émerger des usages que seule la 5G peut offrir ».

En d’autres termes : on ne sait pas quoi en foutre, mais à force de se creuser les méninges on va bien finir par trouver une utilité à ce « machin », de nouveaux usages. Voilà ce qui caractérise « l’effet rebond ». C’est exactement ce qu’explique un article fort intéressant sur l’impact environnemental de la 5G, dont je prélève un court extrait [2] :

« Plus on a de bande passante, plus on la consomme […] C'est comme lorsqu'on est passé du puits à l’eau courante, la consommation d'eau par habitant s'est envolée", témoigne Frédéric Bordage, spécialiste français du numérique, responsable et fondateur du site Green IT.fr. Expert de la transition énergétique à The Shift Project, un think tank qui œuvre en faveur de la sobriété numérique et d'une économie libérée de la contrainte carbone, Hugues Ferreboeuf confirme : "Il y a bien un phénomène de créations de consommation par l'offre. Au lieu de regarder des vidéos en basse définition, ou même en HD, on va les regarder en 4K et plus tard en 8K ».

 

Mais revenons à cette double page. Passé l’introduction, sont déroulés six projets de développements possibles de la 5G. Des innovations (Start-up attitude) sensées je suppose nous convaincre à la fois de l’utilité du déploiement du bidule, et faire démonstration du génie humain.

 

  1) « Assurer une diffusion massive d’informations en réalité augmentée : événementiels, service commerce, tourisme… »

  2) « … développer une sorte de ‘Pokémon GO’ pour les sites touristiques et culturels »

  3) « Service de captation et de diffusion de la vidéo pour promouvoir un lieu ou un événement live sur le Web »

   4) « … programmes d’entrainements interactifs de fitness… 

  5) « … devenir skipper…. Permet de naviguer à distance avec des voiliers radio-connectés depuis un ordinateur »

   6)  « Drone destiné à l’inspection d’ouvrage… Assainissement, eaux usées, stations de traitement… »

 

Hormis la dernière proposition, on note à quel point tout ceci est d’une utilité considérable, et constitue un progrès manifeste pour sapiens ; avancées que seul un amish pourrait avoir l’idée remettre en cause !

A chacun d’établir son propre palmarès. Pour ma part, je décerne volontiers la palme à la cinquième idée, qui sent bon la liberté, le grand large et la mer intacte de toute pollution ; avec sa part de rêve, d’évasion et d’aventure – invite qui se solde par cette phrase programmatique : « prêt à suivre un champion en pleine aventure ? » (Depuis son salon, évidement).

 

Nous sommes vraiment mal barrés !






[1] Aujourd’hui tout est Européen ! … Et ce genre de revue, un exercice d’autocongratulation de l’aéropage politique. Un contenu très lisse et qui se veut consensuel. (Numéro 31 – avril 2021)

[2] Un billet nuancé, à lire sur le sujet de la 5G : https://blog.ariase.com/mobile/dossiers/5g-environnement    (La source n’est pas de la mouvance écologique – si cela peut en rassurer certains).

 

15 avr. 2021

Pagnol, le Garlaban et les oiseaux

 

Approche du Garlaban
Approche du Garlaban... (photo par Axel)

Je n’ai qu’un vague souvenir de mes lectures de Marcel Pagnol… D’ailleurs y réfléchissant je crois n’avoir lu de lui, alors en classe de troisième, que « Le château de ma mère »[1]. Peut-être ai-je eu auparavant entre les mains le premier tome de cette trilogie de l’enfance reconstruite. Rien ne l’atteste.

L’incipit n’a rien pour me plaire : « Après l’épopée cynégétique des bartavelles, je fus d’emblée admis au rang des chasseurs… ». S’il est question d’oiseaux, le reste on l’aura compris évoque ce qui jadis était un moyen de se nourrir, et qui aujourd’hui est devenu une activité de loisir, quand elle ne se cache pas derrière de prétendues missions de « régulation » - aimer la nature au bout d’un fusil ! Drôle de perspective quand on y songe. Quoi qu’il en soit, dans les forêts muées en garrigues où l’écrivain passa les heures heureuses de son enfance, des perdrix bartavelles il n’en reste presque plus.

 

Sentier vers le Garlaban
Sentier vers le Garlaban (photo par Axel)

Pagnol est né et a grandi à Aubagne. Enfant, il aimait à parcourir la campagne et les massifs alentour. « Je suis né dans la ville d’Aubagne sous le Garlaban couronné de chèvres au temps des derniers chevriers ».

Le Garlaban, plus qu’un simple promontoire rocheux posé au-dessus de la ville est un symbole, un veilleur antédiluvien – sa formation remonte au Mésozoïque. A son sommet est planté une croix – c’est, dit-on, une tradition ou une pratique courante. Pour attester du phénomène, en les contrées d’origine catholique, on les appelle « croix sommitales ».


Vue de la croix sommitale
Vue de la croix sommitale (photo par Axel)

Sur le toit du Garlaban
Sur le toit du Garlaban (photo par Axel)

La croix sommitale du Garlaban
La croix sommitale du Garlaban ( photo par Axel)

Quant à l’étymologie de Garlaban, comme beaucoup d’autres, elle reste controversée. Cependant les suffrages plaident pour une origine provençale : « gardia » (vigie, lieu de garde) et « laban » (grotte).

Garlaban enfin, dira Pagnol dans La Gloire de mon père, « c’est une énorme tour de roches bleues, plantée au bord du Plan de l’Aigle, cet immense plateau rocheux qui domine la verte vallée de l’Huveaune ».

Paysage, sur le flanc du Garlaban
Paysage, sur le flanc du Garlaban (photo par Axel)

On l’aura compris, le massif du Garlaban et ses contreforts sont propices aux randonnées et autres balades, que l’on soit sur les traces de l’écrivain ou sans motifs précis – juste occupé à jouir de vallons point encore trop souillés par l’expansion humaine. En particulier, hors saison et vacances scolaires, pour peu que l’on soit épris de tranquillité (ou lassé de la fréquentation de ses congénères).

Et sous le soleil de la mi-mars de se lancer sur les pentes du mont fameux, laissant la voiture au parking « Du puit de Raimu ». De là, après avoir salué un serin Cini haut perché, prendre en direction du col d’Aubignagne, ne croisant que des panneaux à l’usage des chasseurs.

Vue de Marseille
Vue de Marseille (Photo par Axel)


Puis, avec Marseille dans le dos, gravir en sinuant le sentier des garrigues qui conduit au col du Garlaban. A son approche d’ailleurs, il est bon de s’écarter un peu du chemin, pour visiter les gravures abandonnées à la postérité sur des pierres plus ou moins plates ; des dessins ou des textes commis par des voyageurs soucieux de laisser une trace de leur passage (la plupart des graffitis sont inspirées par l’œuvre de Pagnol).

Gravure (photo par Axel)

Gravure (photo par axel)

Gravure (photo par Axel)

Gravure (photo par Axel)


Reste alors à gravir les quelque dernières centaines de mètres. Un parcours plus abrupt parmi la rocaille, un peu plus hasardeux aussi, jusqu’à la croix sommitale. Et de se retrouver là, en plein vent sur l’éperon au-dessus du vide, à surveiller l’arrivée d’improbables hirondelles en cette saison.

Après une poignée de photographies et le sel de méditations venteuses, redescendre pour empreinter une sente qui mène au vallon des Piches. Dévaler l’étroit boyau se révèle une expérience magique, en particulier pour qui n’est habitué qu’aux plaines. S’y arrêter est une invite au farniente. Boire le paysage, écouter le silence et croiser la fauvette Pitchou sont des délices rares. Plus tard, plus bas, dans le ciel on se réchauffera l’âme à contempler le vol du Circaète Jean-le-Blanc.

Le vallon des Piches
Le vallon des Piches (photo par Axel)

Le vallon des Piches (photo par Axel)
Le vallon des Piches (photo par Axel)


Atteindre enfin le col Salis et, de là, aller à la Baume du Plantier (grotte de Manon) – plutôt un abri sous roche.

Col Salis
Col Salis (photo par Axel)

La grotte "Manon"
La grotte "Manon" (photo parAxel)


Reste à rejoindre le col d’Aubignane et, avant de songer à rentrer, l’esprit reposé au moins autant que les jambes empesées, grimper le sentier Pierre Tchernia pour joindre et dépasser les ruines éponymes, sur les barres de Saint-Esprit – à la vérité un ancien décor de cinéma : « Regain » (1937).

 

Les ruines d'Aubignagne
Les ruines d'Aubignagne (Photo par Axel)

Les ruines d'Aubignagne
Les ruines d'Aubignagne (photo par Axel)

Les ruines d'Aubignagne
Les ruines d'Aubignagne (photo par Axel)

Au fond Pagnol n’aura été qu’un prétexte à une escapade de cinq bonnes heures ; promenade solitaire dans un paysage émouvant. Cet écrivain-cinéaste que je ne sais rien au fond, classé à priori dans la même catégorie que Prévert. Du côté des littérateurs ou poètes « gentillets » ; ces patronymes en forme de patrimoine national – sentant bon le terroir… Monuments intouchables. Canonisés !

 

Mais reste le paysage …

Un autre veilleur
Un autre veilleur.... (photo par Axel)




[1] Je possède toujours mon exemplaire, une édition de poche de 1978. Un roman que je me suis promis de relire un jour… Un jour prochain !

1 avr. 2021

Ornithologue par temps de guerre

 

Grive musicienne
Grive musicienne (photo par Axel)



Géographie de l’instant
, dans sa version Pocket, réunit les blocs-notes de Sylvain Tesson publiés entre 2006 et 2014. 

Idéal en livre de chevet, où à portée de transat, par temps de confinement.

Le plaisir de butiner phrases et impressions de l’instant ; en bonne compagnie… 

Le marcheur des chemins noirs est l'un des rares écrivains à tant citer les oiseaux, à être habité de leur présence ; un mot ici en passant, l'air de rien, des anecdotes, ou encore la description d'un marais et de ses habitants ; de l'aigrette au courlis ...

Affinités de tempérament ...



Je ne résiste pas à citer ce passage :

___________________



« Jacques Delamain, mort en 1953, était ornithologue. Jacques Lacarrière le surnommait « l’Homère des oiseaux ». Cet homme consacra sa vie à écouter le peuple du ciel, à percer le mystère de leur langage. Rien ne pouvait le distraire de sa passion. Rien. Pas même la guerre de 1914. La dernière partie de son livre Pourquoi les oiseaux chantent (publié en 1930) est constitué du Journal de guerre d’un ornithologue. Nous sommes avec les poilus, dans la tranchée. Pendant que le canon gronde et que les obus fusent, Delamain écoute la grive et le pinson. L’artillerie tonne. Lui tend l’oreille pour saisir la trille des friquets. Les seuls combats qu’il décrit sont les joutes des freux et des crécerelles. L’année de Verdun, l’homme parle de « journées magnifiques, observe les ramiers et note que « la draine chante régulièrement pendant quelques minutes au lever du soleil ». Rien ne le distrayait de sa passion. Socrate à l’instant de mourir rêvait d’apprendre à jouer de la lyre. Il y a des êtres comme cela, insolents, désinvoltes, étrangers aux circonstances. La grotesque agitation de leurs semblables les ennuie au suprême. Ils savent que le chant d’un oiseau ou le vers d’un poète plus importants que les affaires des hommes ».

(P221) – Septembre 2011


Pinson des arbres (photo par Axel)