Billet initial du 25 février 2011
(Billet initial supprimé de la plateforme overblog, infestée désormais de publicité)
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Voici un livre
qui n’était pas dans mes projets de lecture. Encore aujourd’hui je ne saurai en
cerner véritablement le motif. Pour tenter de comprendre cette indifférence,
voire cette méfiance envers « La stratégie du choc » je dois tout d’abord reconnaître que,
peu porté sur les grands médias, je ne connaissais alors pas mieux que le nom
de cette nouvelle « icône » de l’altermondialisme, auteur disait-on
d’un best-seller de la littérature alternative, « no-logo », sur
lequel je n’ai aucun avis pour ne point l’avoir lu. Cependant le titre même de
cet essai, daté de 2000, me paraissait symptomatique de ce type d’ouvrages
opportunistes destinés à capter les deniers d’un lectorat conquis d’avance.
Bref, rien qui ne doive donner véritable matière à réflexion, mais plutôt
susciter l’adhésion de principe. D’autant qu’au sujet des marques j’avais en
tête une subtile analyse de Guillaume
Paoli qui, pour
ceux s’interrogeant sur leur pratiques de consommation, a la vertu du poil à
gratter. A savoir que si « … vous pouvez commander une paire de
chaussures « no-logo » en cuir végétarien fabriquées par des
travailleurs syndiqués, pour 95 dollars seulement ! » Il
n’en est pas moins « …aisé de remarquer que cette annonce est elle-même
une publicité qui s’est simplement emparée d’un autre support, en l’occurrence
un site Internet anti-publicitaire. Elle atteindra ainsi un segment d’acheteurs
potentiels qui n’auraient sans doute pas pu être touchés autrement ». Conséquence
de quoi, «… tout autant que les Nike, les chaussures no-logo
sont des icônes symbolisant une valeur immatérielle : l’appartenance à une
communauté politiquement correcte et socialement consciente ».
Mais revenons
sur cette « montée d’un capitalisme du désastre ». Quelques
renseignements pris, et sachant la dame journaliste, je concède n’avoir
pressenti alors dans ce nouvel opus qu’une espèce de grosse machine commerciale
à la mode anglo-saxonne, surfant à bon compte sur la vague de constats bien
réel, mais sans rien n’apporter de neuf au débat. A ce sentiment mitigé,
trop de publicité sans doute, une trop manifeste débauche de moyens aussi. Sans
compter cet unanimisme du côté d’une certaine gauche radicale, compensée par
une haie de haussements d’épaules condescendants dans le camp adverse.
Passant chemin,
je n’aurai donc pas eu idée de m’intéresser à ce pavé de près de 800 pages sans
cette fatale émission
du « Grain à moudre » de mars 2010 intitulée « Le néo-libéralisme fait-il son lit des catastrophes
? ». Selon un principe bien rodé en ce
direct de débat s’opposent deux partis autour d’une thèse, en l’occurrence ici,
pour paraphraser Julie Clarini dans son chapeau de présentation « le
cœur de la démonstration stimulante » de Naomi
Klein. Les noms des
débatteurs importent peu ici. Mais ce qui m’avait alors stupéfait ce fut d’une
part l’agressivité affichée des deux opposants aux thèses proposées par la
Canadienne, hargne doublée d’un mépris de mauvais aloi ; et d’autre part
de l’utilisation
de toutes les ficelles connues destinées à occulter le débat sur les questions
qui dérangent.
Petit
florilège :
« Ce
livre est énorme, il y a des tas d’éléments précis, et donc cela à toutes les
apparences de l’enquête scientifique. Et c’est ça qui est trompeur. En réalité
elle ne choisit que ce qui l’intéresse, elle procède par des glissements
sémantiques, dont certains sont totalement insultants… »
Technique n°3 :
Indignation
Rejeter le
sujet de façon indignée
Technique n°6 :
Messager
Décrédibiliser
le porteur du message.
« Il
faudrait des heures pour réfuter la thèse de Naomi Klein, car comme elle est
extrêmement foisonnante, et elle procède par des choix qui sont tout sauf
scientifiques, qui sont tous téléologiques, on ne peut pas tout réfuter… Les
liens de causalité sont toujours, ou presque artificiels, ou intentionnellement
insultants… »
Technique n°7 :
Biais
Exacerber tous
les faits qui pourraient donner à penser que l’opposant opère en dissimulant
ses véritables intentions ou est sujet à tout autre forme de biais.
« Ce
sont des billevesées. C’est du Goubli-boulga. Littéralement cela n’a aucun
sens ! Elle mélange tout… Et ce qui est troublant, elle parle du
libéralisme, de l’avenir du libéralisme, des limites du libéralisme. Ça c’est
un sujet. Mais quand on veut le comprendre il faut regarder les choses telles
qu’elles sont. C’est-à-dire qu’associer la dictature et le marché comme elle le
fait, ça n’a rigoureusement aucune vérité historique (…) La théorie
du complot c’est idiot ! S’en prendre à Milton Friedman est totalement
déplacé… C’est la société qui a demandé le libéralisme…»
(Entre autre)
Technique n°6 : Messager
Décrédibiliser
le porteur du message. Par extension, associer les opposants à des
dénominations impopulaires telles que « excentrique », « extrême-droite », «
gauchiste », « terroriste », « conspirationniste »,
Technique n°5 :
Homme de paille
Présenter la position de son adversaire de façon volontairement erronée.
Présenter la position de son adversaire de façon volontairement erronée.
Technique n°10 : Innocence
Faire
l’innocent. Quelle que soit la solidité des arguments de l’opposant, éviter la
discussion en leur contestant toute crédibilité, toute existence de preuves,
toute logique ou tout sens. Mélanger le tout pour un maximum d’efficacité.
Bref, reléguant
aussitôt après écoute cette émission dans les limbes des mauvais débats, ce ne
fut seulement lors de la sortie de la version poche de l’ouvrage, à l’automne
dernier, que me revint en tête l’aigreur et la vindicte de ces gens adeptes de
l’esquive, si policés d’ordinaire ; trouble qui m’a incité à franchir le
pas et acheter « La stratégie du choc » afin de m’en
faire ma propre idée…
Sur le cas
Friedman, voyons succinctement quelques arguments pris du livre et les
faits avancés à ce sujet :
« Peu
de temps après l’élection d’Allende, (…) l’université catholique, fief des
Chicago
boys, devint l’épicentre de ce que la CIA appela la
« création d’un mouvement propice à un coup d’Etat » (…) Saenz,
président de l’Association nationale des manufacturiers recruta quelques
Chicago boys, à qui il confia la tâche de concevoir les programmes de rechange
et d’ouvrir un nouveau bureau près du palais présidentiel de Santiago. Le
groupe, dirigé par Sergio de Castro, diplômé de Chicago commença à tenir des
réunion secrètes hebdomadaires au cours desquelles ses membres élaboraient des
projets radicaux de transformation de leur pays dans le plus pur esprit du
néolibéralisme. Selon l’enquête menée ultérieurement par le Sénat américain,
« plus de 75% » du financement du « groupe de recherche de
l’opposition » venait directement de la CIA. (…)
Au moment où la
solution violente semblait l’emporter, par les truchements de Roberto Kelly,
homme d’affaire financé par la CIA, les Chicago boys transmirent à l’amiral
responsable un résumé de leurs idées, qui tenait en 500 pages. (…)
Au Chili, leur
bible de 500 pages – programme économique détaillé dont s’inspira la junte dès
les premiers jours – fut surnommée « la brique » (…)
Le 12 septembre
1973, un exemplaire de « la brique » ornait le bureau de chacun des
généraux à qui allaient incomber des fonctions gouvernementales. Les
propositions contenues dans le document ressemblaient à s’y méprendre à celles
que formule Friedman dans Capitalisme et liberté : privatisations,
déréglementation et réduction des dépenses sociales. (…)
Pinochet fit
aussitôt de quelques diplômés de Chicago – notamment Sergio de Castro,
principal auteur de « la brique » - ses proches conseillers
économiques. (…) Pinochet avait beau tout ignorer de l’inflation et des taux
d’intérêts, les technos parlaient un langage qu’il comprenait. Pour eux,
l’économie était l’équivalent de forces naturelles redoutables auxquelles il
fallait obéir : « Aller à l’encontre de la nature est
improductif. A ce jeu on se dupe soi-même » (…) Pendant les 18 premiers
mois, Pinochet suivit fidèlement les prescriptions de l’école de
Chicago (…). En 1974, l’inflation atteignit 375% et le prix de denrées
essentielles telles le pain explosa. En même temps, de nombreux chiliens
perdaient leur emploi (…) Fidèles au dogme, Sergio de Castro et les autres
Chicago boys soutenaient que leur théorie n’était pas en cause. Le problème
venait plutôt du fait que leurs prescriptions n’étaient pas appliquées avec
assez de rigueur. (…) Leur programme gravement compromis, les Chicago boys
décidèrent que le moment était venu de prendre les grands moyens. En mars 1975,
dans l’espoir de sauver l’expérience, Milton Friedman et Arnold Harberger
s’envolèrent pour Santiago à l’invitation d’une grande banque chilienne.
Friedman fut accueilli par la presse, inféodée à la junte, comme une star, le
gourou d’un ordre nouveau. Ses déclarations faisaient la une ; ses
conférences universitaires étaient diffusées à la télévision nationale. Il eut
droit à l’audience la plus importante qui fut : un entretien privé avec le
général Pinochet.
Tout au long de
son séjour, Friedman rabâcha le même thème : la junte était sur la bonne
voie, mais elle devait adhérer aux préceptes du néolibéralisme avec encore plus
de discipline. Dans ses discours et ses interviews, il utilisa une expression
qui n’avait jamais encore été brandie dans le cadre d’une crise économique
réelle : « traitement de choc ». (…)
Pinochet fut
converti. Dans sa réponse, le chef suprême du Chili disait avoir pour Friedman
« les plus grands et les plus respectueux égards » ; il assura
ce dernier que « le plan est appliqué à la lettre en ce moment
même ». Immédiatement après la visite de Friedman, Pinochet congédia son
ministre de l’Economie et le remplaça par Sergio Castro, qu’il hissa par la
suite au poste du ministre des Finances. Castro truffa le gouvernement de
Chicago boys et nomma l'un d’entre eux à la tête de la banque centrale
(...) ». La cause
paraît entendue.
Pinochet / Milton Friedman |
"La
stratégie du choc", sauf à être, au sens le plus vulgaire, d'un cynisme
accompli, est un livre dont on ne sort pas indemne.
S’y trouve
certes quelques biais et faiblesses qui ont étés d’ailleurs pointés dans la
plupart des critiques argumentées, mais dans l’ensemble il s’agit d’un ouvrage,
n’en déplaise à certains, d’une grande cohérence intellectuelle et fort bien
documenté. Les faits sont les faits et lorsque « à son retour du
Chili, en 1981, Hayek, Saint patron de l’école de Chicago, si impressionné par
Pinochet et les Chicago boys écrivit sur le champ une lettre à son amie
Margaret Thatcher alors premier ministre de Grande Bretagne pour la prier
instamment de s’inspirer de ce pays sud-américain pour transformer l’économie
de son pays » et que cette dernière répondit « en toute
franchise dans une lettre privée adressée à son gourou intellectuel :
« Vous conviendrez, j’en suis sure, que certaines des mesures prises au
Chili seraient inacceptables en Grande-Bretagne, où il existe des institutions
démocratiques qui nécessitent un degré élevé de consensus social. Notre réforme
devra respecter nos traditions et notre Constitution. Par moment les progrès
peuvent paraître cruellement lents », il n’y a rien à ajouter.
Lorsque encore
Milton Friedman, à peine trois mois après Katrina se fend d’un article dans le
Wall street journal ou il dit : « La plupart des écoles de la
Nouvelle-Orléans sont en ruine, au même titre que les maisons des élèves qui
les fréquentaient. Ces enfants sont aujourd’hui éparpillés aux quatre coins du
pays. C’est une tragédie (on est humain quand même). C’est aussi
une occasion de transformer de façon radicale le système d’éducation ».
Et Naomi Klein d’expliquer que l’idée radicale de Friedman est qu’au lieu
« d’affecter à la remise en état et au renforcement du réseau des
écoles publiques de la Nouvelle-Orléans une partie des milliards de
dollars prévus pour la reconstruction de la ville, le gouvernement devrait accorder
aux familles des bons d’étude donnant accès à des écoles privées subventionnées
par l’état ». Sinistre farce qui sera mise en œuvre et « 19 mois
après les inondations, alors que la plupart des pauvres de la ville étaient
encore en exil, presque toutes les écoles publiques de la Nouvelle-Orléans
avaient été remplacées par des écoles à charte exploitées par le secteur privé.
Avant Katrina, le conseil scolaire comptait 123 écoles ; il n’en restait
plus que 4. Il y avait alors 7 écoles à chartes ; elles étaient désormais
31 (…) et les quelques 4700 membres du syndicat des instituteurs étaient
licenciés. » D’ailleurs, du côté de l’American Enterprise Insitute,
officine inféodée aux doctrine de Friedman, on y mit moins les formes
« Katrina à accomplit en un jour (…) ce que les réformateurs du
système d’éducation ont été impuissants à faire malgré des années de travail ».
Les faits
toujours. Et c’est ainsi tout au long de l’ouvrage, jusqu’à nausée : que
ce soit sur l’Irak, la Chine, le tsunami de 2004, etc., etc. On comprend les
adeptes les plus fanatiques du néolibéralisme et de la main invisible du Marché
gênés aux entournures.
On l’aura
compris, « La stratégie du choc » est à lire absolument, ne
serait-ce pour s’en faire une idée qui ne soit point sous tutelle
d’autrui.
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Cher Axel,
RépondreSupprimerJ'ai regardé, un peu, seulement, les vidéos ...Le ton anxiogène du présentateur n'aide pas à la concentration. Lire le livre est sans doute préférable. J'avoue être souvent tentée de fuir cette réalité traumatisante, Mais la lucidité est un chemin que l'on ne peut pas faire à l'envers.
Merci d'avoir écrit quelques mots au sujet de mon précédent billet. J'écris à partir d'intuitions. D'ordinaire, j'ai du mal à trouver mes mots, mais là, j'ai écrit assez facilement, le doute est venu après. L'approbation d'une personne de qualité m'a permis de ne pas tout supprimer :) Je n'ai pas pu participer à la conversation. J'étais vidée. Je crois que c'est à cause de l'onde de choc propagée par les médias.
Amicalement
Carole
Ce commentaire a été supprimé par un administrateur du blog.
SupprimerChère Carole,
SupprimerJe n’ai pas revu la video en recopiant cet ancien billet. Mais d’après mon souvenir je partage assez votre sentiment… Le film tiré du livre fut critiqué, même par N.Klein qui s’en est désolidarisé car elle trouvait le montage un peu caricatural…
Le livre, par contre, fut un choc ; en ce sens il porte très bien son nom…
J’aime beaucoup vos billets – ma faiblesse est de ne rien connaitre au cinéma, et d’avoir encore plus de mal à entrer dans d’anciens films, ayant beaucoup de difficultés à surmonter ce « vieillissement » aussi bien dans la manière de jouer que dans le montage… (J’ai déjà dû en parler – et dois-je radoter – mais je me souviens l’épisode où, lors des « aventures de la raison » JP Dupuy a voulu nous passer « Vertigo », pour lui un film essentiel ; j’en étais resté dubitatif, à la limite de l’éclat de rire… Sans doute était-ce là effet de mon inculture cinématographique – mais c’est dur à surmonter….)
Pour en revenir à votre billet, le doute en la matière est la chose la plus saine qui soit ; ainsi que la manière dont vous l’avez exprimé.. Rien n’es pire qu’être pétri de certitude ; cela rend autiste…
Très belle journée chère carole,
Amicalement
Axel