Blogue Axel Evigiran

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La dispersion est, dit-on, l'ennemi des choses bien faites. Et quoi ? Dans ce monde de la spécialisation extrême, de l'utilitaire et du mesurable à outrance y aurait-il quelque mal à se perdre dans les labyrinthes de l'esprit dilettante ?


A la vérité, rien n’est plus savoureux que de muser parmi les sables du farniente, sans autre esprit que la propension au butinage, la légèreté sans objet prédéterminé.

Broutilles essentielles. Ratages propices aux heures languides...


26 janv. 2017

Parmi les ruines : la chapelle de Languidou

Chapelle de Languidou (photo par Axel)
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Je ne sais avec netteté d’où me vient cet attachement aux ruines ; ce plaisir à m’y promener jusqu’à m’y perdre, rêvassant parmi ces squelettes retournés à l’oubli… Certes, en cela rien de bien original : « Tous les hommes ont un secret attrait pour les ruines. Ce sentiment tient à la fragilité de notre nature, à une conformité secrète entre ces monuments détruits et la rapidité de notre existence. » Je ne suis pas persuadé de partager cette appétence pour l’effondré, comme semble le généraliser Chateaubriand, par conscience de la fugacité de notre existence ; cette impermanence du vivant…  Mais je reste saisi par la beauté propre à ces œuvres fortuites, ce mélange de majesté grandeur nature retourné à la modestie, cette bigarrure de construit et de naturel, de décrépitude pas tout à fait informe ; s’y mêle sans doute une forme de misanthropie, car les ruines se savourent loin du fracas des foules, comme les vapeurs d’une sourde mélancolie que l’on ne souhaite pas partager…

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Il y a variété des ruines. Des friches industrielles aux manoirs abandonnés, passant par les restes de civilisations qui eurent leur heure de gloire… N’en reste que des os blanchis ou moussus, picorés de champignons éphémères ; de la poussière ou des lianes et des racines, du  fer rouillé - oxydation saupoudrant sa lèpre sur des vestiges encore chauds…
En ce chaos, mes préférences vont aux cités trépassées, aux castels et castrum suspendus au-dessus du vide, aux lieux de cultes de la chrétienté retournés à l’animisme originel – ou grandis encore par le fantasme de paganismes enchantés, débarrassés enfin de la froidure humide aux effluves de catacombes.
Tous ces lieux ont en commun d’avoir perdus leur pompe – Vaisseaux désertés, rendus à la nature ; aux oiseaux, aux insectes, aux prédateurs et aux proies. Lavés par les intempéries l’histoire s’y devine en pointillé, accrochée parfois aux lambeaux de pierres éparpillées parmi les herbes folles, à quelques trous de poteaux que rien ne signalent… Une stèle gravée en grec ancien ici, une citation latine à demi effacée ailleurs, un signe ininterprétable… C’est encore, plus loin, les traces fugaces de quelques pigments. Puis le reste, tout le reste irrémédiablement perdu…
Chapelle de Languidou (photo par Axel)
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En ces citadelles ou ces temples à ciel ouverts, la découverte livresque précède souvent l’immersion in situ…. D’où les déceptions nombreuses, mais l’émerveillement aussi parfois. Saisissement d’ailleurs tenant  moins à la richesse intrinsèque des vestiges, qu’à l’impression laissée par un écrin demeuré isolé, loin de la civilisation, exilé dans sa gangue… 
Il faut dire que les livres des explorateurs, truffés de gravures fantastiques nous montrent le plus souvent ces ruines telles que nous ne les verront jamais. Pour s’en convaincre il n’est qu’à se plonger par exemple dans l’œuvre de Frederik Catherwood, « ruins of the Maya civilization ». Et puis il y a les sites qui nous ont toujours fait rêver, mais devenus inaccessibles. Ainsi la cité d’Aristippe. Un magnifique livre de Jean-Marie Blas de Roblès, sorti l’automne dernier, nous invite à le suivre en Cyrénaïque, et plus largement « en Libye, sur les traces de Jean-Raimond Pacho ».

Chapelle de Languidou (photo par Axel)
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Chapelle de Languidou (photo par Axel)
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S’il m’est impossible de composer une hiérarchie personnelle des lieux visités, du moins puis-je constater mon attachement à certains d’entre eux ; ainsi pour ce qui est des cités, à des sites tels Gortyne, Priène ou Tonina, qui ne sont pas les plus connus dans pays respectifs.
Lorsqu’on évoque la Crète c’est à Cnossos que l’on songe. Quant à Gortyne, si elle est connue surtout pour ses « lois des douze tables », elle se savoure loin des circuits convenus, de l’autre côté de la route, à l’ombre des restes du prétoire, vaste complexe qui occupait jadis une surface de plus de 12.000 m2.
Priène et Tonina ont en commun de tenir leur majesté à leur
Chapelle de Languidou (photo par Axel)
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éloignement des circuits touristiques habituels, la masse des pressés et des collectionneurs allant plutôt à Ephèse ou à Palenque et à Chichen Itza. Mais leur charme vient aussi des paysages dans lesquels elles s’inscrivent. Avec les colonnes du temple d’Artémis adossé au socle du mont Mycale pour Priène ; avec les collinesdu Chapias mexicain pour Tonina, cette « grande maison de pierre ».
Je pourrai encore évoquer, sur le sentier des châteaux exténués, Lastours ou Peyrepertuse en terres cathares, ou Coucy, à la tour dynamitée lors de la première guerre mondiale, et fut à l’époque de sa splendeur au XIIIe siècle, la demeure d’Enguerrand III, le plus rand vassal du roi de France.
Du côté des lieux de culte retournés à l’abandon, l’abbaye de Vauclair, découverte par les hasards de bifurcations inopinées a sans doute ma préférence… Mais la visite cet été de la chapelle de Languidou, par un après-midi d’un bleu sans tâches, aura eu le charme de ces instants un peu hors du temps ; une atmosphère ou chantent les farfadets des rivages océaniques…

Située en Basse-Cornouaille, la chapelle de Languidou fut édifiée conjointement par un chanoine et un hobereau local au XIIIe siècle : « Le chanoine Guillaume et Yves de Revesco ont fait (re)bâtir cette église (en l'honneur de saint Quidou) », un saint breton à la notoriété branlante.

Chapelle de Languidou (photo par Axel)
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Le vaisseau de pierre se découvre au détour d’une petite route conduisant à la mer… La coque enfoncée dans les vagues de la pente, avec sa rosace exposée aux quatre vents… Les voyageurs qui s’y échouent sont peu nombreux ; et avec un peu de patience on peut jouir des lieux sans autre présence que celle des grillons et des oiseaux. Alors on déambule, on s’imprègne de la mémoire des pierres. Sans idée précise…  
Le docte ira lire ici ou là que la chapelle est une représentante illustre - et peut-être la première - de l’école dite de Pont de croix, ce qui ne l’avancera pas davantage, sauf à aller s’enquérir sur les motifs de ce style architectural circonscrit en pays Bigouden, et se caractérisant par l’utilisation d’arcades en grand nombres, dotées souvent d’un décor soigné…  
Chapelle de Languidou (photo par Axel)
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La construction de la chapelle remonte au milieu de XIIIe siècle, époque tourmentée qui vit la quatrième croisade détournée par les vénitiens sur Constantinople. Mais loin des voutes de Saint-Sophie, le nef de Languidou, entre roman et gothique, tangue sous un ciel de légendes. L’édifice sera remanié à plusieurs reprise au fil des siècles, avant d’être partiellement détruit à l’époque révolutionnaire, les pierres de son ventre allant alimenter la ferveur de soldats bâtissant un corps de garde à Plovan le village situé à son embouchure.

Puis virent les restaurateurs…
Chapelle de Languidou (photo par Axel)
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Mais laissons le mot de la fin au romantisme de Chateaubriand, celui qui inspirera la plume de Flaubert, lorsque dessinant les vagues à l’âme et les humeurs mélancoliques d’Emma Bovary, il lui fera aimer les mer démontée, avec ce goût des ruines si cher aux écorchés du 19e siècle.


« Elle rêva les chapelles gothiques abandonnées, les infortunes des reines, les ruines dans les bois, les migrations d'oiseaux dans les nuages, des grèves désertes, des lacs, des tempêtes, des ouragans, des mausolées illustres cachés sous la verdure et des tombes au clair de lune, silencieuses sous les lierres » 
Génie du Christianisme

« Habituée aux aspects calmes, elle se tournait, au contraire, vers les accidentés. Elle n'aimait la mer qu'à cause de ses tempêtes, et la verdure seulement lorsqu'elle était clairsemée parmi les ruines. »
Madame Bovary

Chapelle de Languidou (photo par Axel)
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2 commentaires:

  1. Cher Axel,

    Je partage votre goût pour les ruines. De la vie a eu lieu et elle s'est comme évaporée, laissant derrière elle, à terre, ce qu'elle n'a pu emporter. Je trouve également de la poésie aux esquisses. Au musée Bonnat de Bayonne, toute une salle est consacrée à des Rubens inachevés. Le peintre s'est comporté comme un dieu velléitaire, comme s'il doutait de l'intérêt de créer, même du beau.

    Merci pour vos pages et vos photos,

    Amitié,

    Frédéric

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  2. Ah, le charme intemporel des lieux perdus ! Vive les ruines désertées ! :-)

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