Blogue Axel Evigiran

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La dispersion est, dit-on, l'ennemi des choses bien faites. Et quoi ? Dans ce monde de la spécialisation extrême, de l'utilitaire et du mesurable à outrance y aurait-il quelque mal à se perdre dans les labyrinthes de l'esprit dilettante ?


A la vérité, rien n’est plus savoureux que de muser parmi les sables du farniente, sans autre esprit que la propension au butinage, la légèreté sans objet prédéterminé.

Broutilles essentielles. Ratages propices aux heures languides...


12 déc. 2021

Chronique d’une promenade en forêt de Crécy

 

En forêt de Crécy - Photo par Axel
En forêt de Crécy - Photo par Axel

Par un dimanche d’octobre, tournant le dos à la baie de Somme, tôt le matin il arrive aux amoureux de la nature et du silence de mettre le cap sur la forêt de Crécy. Le nom est célèbre.

La bataille éponyme se déroula en 1346, une chevauchée désastreuse pour le roi de France et ses sbires. Mais ce n’est pas ici le sujet. Quoi que si la contrée n’est désormais plus un défouloir martial, sévissent toujours une partie de l’année dans la forêt et ses alentours, les rejetons dégénérés des gens d’armes d’alors. Aussi avant d’y risquer ses pas, d’octobre à mars, la prudence invite à se renseigner sur les rares jours sans chasse, sauf à avoir une appétence particulière pour le fracas des armes et vouloir être pris pour un sanglier …

Outre l’impossibilité de se tenir sans péril dans le même secteur forestier qu’eux, il faut voir ces « vrais écologistes » œuvrer à la régulation des « nuisibles » pour comprendre tout le bénéfice qu’il y a à les éviter. En rangées serrées, ratissant les moindres fourrés, déguisés en Kaki et gilets fluo, fusil en main à s’interpeller, vociférer, siffler ou aboyer sur leur chien … Un affreux vacarme - sans compter les crépitements sourds en rafale à la vue du moindre faisan d’élevage, décollant effaré entre leurs bottes. C’est ainsi que sont déversés des milliers de tonne de plomb dans la nature chaque année. Passons.

 

Fougère à l'automne - Photo par Axel
Fougère à l'automne - Photo par Axel


Ce matin-là le soleil inondait les sentes, faisant lever une légère brume, conférant au sous-bois un air de trouble fantasmagorie. Pas de véhicules sur la route forestière du chevreuil. Mais juste une solitude magique et le calme absolu des frondaisons …  

Il fait trois degrés et se sont les premières gelées blanches de l’année. La sommière des Grands Hêtres respire paisiblement, les oiseaux s’ébrouent tranquilles … Le murmure de la vie dans les bois.

Sentier forestier - photo par Axel
Sentier forestier - photo par Axel

Et les pas du promeneur silencieux, qui se faufile dans les trouées de lumière ; à boire le paysage !

 

Six heures d’un pur régal ! Ne croisant en tout et pour tout que deux petits groupes de vététistes, des gens plutôt respectueux.

Une lente déambulation dans les sentes et chemins de traverse, sans certes rencontrer ni chevreuils ni sangliers, ni même d’écureuils, mais en bonne compagnie parmi les oiseaux, éparpillés en grappes éparses. Ici ou là, plutôt d’ailleurs à proximité des chemins et clairières. Et d’en dénombrer une quinzaine espèces différentes, ce qui est plutôt pas mal sur cette durée en milieu purement forestier.  

 

Deux moments forts :

Le premier, lorsqu’au-dessus d’une trouée dans la forêt cercla un rapace. Pas très haut, il cherchait les courants ascendants. Epervier ou Autour ? Impossible sur le coup de le déterminer - heureusement la photographie numérique, ainsi que les communautés de passionnés, permirent ensuite de lever le doute : c’était un épervier femelle !

Ensuite, une surprise. Un petit passereau fort coloré, reconnaissable au premier coup d’œil. Un oiseau que l’on ne s’attend pas forcément à croiser en ce type de biotope. Un mâle de tarier pâtre ! Passant d’un perchoir à l’autre à la recherche de proies.

 

Tarier pâtre à Crécy - Photo par Axel
Tarier pâtre à Crécy - Photo par Axel

Sur la variété des espèces vues on peut s’étonner. Les souvenirs sont faillibles, mais les anciens carnets de notes l’attestent : il y a 10 ou 20 ans lorsque je venais en forêt, et en particulier celle-ci, je peinais à observer plus de 5 ou 6 espèces différentes. J’en suis aujourd’hui en moyenne à plus du double, malgré l’effondrement dramatique de la biodiversité - aussi bien en nombre d’espèces que sur les densités de populations d’oiseaux au sein d’une même espèce. Je ne m’explique donc ce phénomène que par une acuité désormais plus grande, un meilleur choix des horaires, et par des connaissances aussi plus étendues, en particulier par une meilleure capacité à localiser des oiseaux à leurs cris ou leurs chants. Jadis c’était presque toujours : mésanges bleues et charbonnières, pinsons des arbres, merles, un geai ou deux, une buse variable et autres rougegorges. Désormais je croise aussi des sittelles, des mésanges nonettes, des noires et parfois des huppées, des grimpereaux, des roitelets, des pics pas seulement épeiches, etc. Avec une surprise toujours possible !

 

On vante en général le bénéfice pour la santé des balades dans les bois, ou pour l’équilibre mental. Comme s’il fallait ce genre de motivations très contemporaine et utilitariste pour se résoudre à mettre ses pas dans les sentiers des espaces de nature. Or il suffit plutôt de suivre ses inclinations - évitant les endroits trop fréquentés.

Et là dans cette forêt, ce jour-là il faisait si bon et si calme, sans autres bruits que ceux de la nature … Le paysage chantait, vibrant de couleurs chatoyantes. Les fougères s’étiolaient sous l’ombre des grands hêtres, les branches s’égouttaient et les feuilles tombaient en pluie légère. Le cycle des saisons. Enfin, le pâle soleil des derniers jours d’octobre réchauffait si bien le corps …

Les couleurs du désastre - Photo par Axel
Les couleurs du désastre - Photo par Axel

Un dernier mot tout de même, sur ces nombreuses saignées à blanc[1] en forêt, dont j’ai l’impression qu’elles se généralisent. C’est assez déconcertant de découvrir des espaces si immenses vidés de leurs arbres, de leurs buissons … Ne reste que la terre remuée parsemée de souches et autres moignons sur des étendues de plusieurs dizaines de terrains de football. On peut s’interroger sur la manière dont les organismes de gestion des forêts parviennent à justifier une telle pratique. Est bien sûr avancé un souci de gestion. Mais le réel est plus terre-à-terre et le terme qui convient est celui d’exploitation forestière : il faut tirer profit de la revente du bois.

Coupe à Blanc en forêt de Crécy - Photo par Axel
Coupe à Blanc en forêt de Crécy - Photo par Axel

Avec ces coupes à blanc, outre un évident problème d’érosion des sols, « le cycle de vie de la forêt est donc stoppé net du jour au lendemain et cela concerne tout le monde : des petits mammifères ou oiseaux en passant par les insectes (…) et tout le cortège de champignons qui jouent un rôle crucial dans les écosystèmes forestiers ou encore les plantes connexes qui ne pourront survivre avec la perte de leur écosystème ».

Reste un sentiment de saccage et de désolation. Et de penser que c’est bien là la caractéristique de notre espèce : détruire la nature par esprit pratique, par sens de « l’utilité ».

 

Assis au bord de l’un de ces champs de bataille, je compte les stries d’un arbre abattu. Il avait plus de 80 ans.

Stries d'un arbre abattu - Photo par Axel
Stries d'un arbre abattu - Photo par Axel




[1] Ce que je lis en ligne confirme mes intuitions : « Curiosité du code forestier, la notion de coupe rase n’est pas définie alors que l’article L124-6 se propose de l’encadrer. Il faut se plonger dans l’Inventaire Forestier National (IFN) pour trouver une définition de la coupe rase qui “désigne en gestion forestière l’abattage de l’ensemble des arbres d’une parcelle”. » - « L’industrialisation de la gestion forestière risque de poser de graves problèmes environnementaux à plus ou moins long terme. Outre le fait que les coupes à blanc défigurent les paysages, elles pourraient aussi nuire à l’écosystème »

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