Blogue Axel Evigiran

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La dispersion est, dit-on, l'ennemi des choses bien faites. Et quoi ? Dans ce monde de la spécialisation extrême, de l'utilitaire et du mesurable à outrance y aurait-il quelque mal à se perdre dans les labyrinthes de l'esprit dilettante ?


A la vérité, rien n’est plus savoureux que de muser parmi les sables du farniente, sans autre esprit que la propension au butinage, la légèreté sans objet prédéterminé.

Broutilles essentielles. Ratages propices aux heures languides...


18 févr. 2022

Le crash est-il évitable ?

 
Le crash est-il évitable ? 

Conférence à "Sup'Aéro" avec Aurélien Barrau.

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C’est à la fois tragique et imparable… Il y a beaucoup de lucidité, de sensibilité et de poésie aussi dans les propos d’Aurélien Barrau.

Je sais que cela ne sert pas à grand-chose, mais j’avais envie de partager quelques extraits de cette causerie toute récente.

La première partie est l’exposé d’Aurélien Barrau. C’est clair et sans concessions. Il pose le problème exactement là où il convient de le faire. Juste un mince passage :  

« On aurait, éventuellement dans un futur lointain, une source d’énergie qui serait presque infinie, et presque propre (…) Peu importe en réalité, cela serait une catastrophe. Pourquoi ? Parce que le problème est ce qu’on fait de l’énergie. Sans une révolution, non pas des usages, mais des valeurs, nous continuerions vraisemblablement à utiliser cette énergie comme nous le faisons aujourd’hui, pour décimer les populations animales, pour dévaster les sols, pour raser les forêts, pour massacrer les fonds marins. Dans ces conditions quelle importance qu’on émette du CO2 ou pas avec cette source d’énergie. Dès lors que l’énergie est utilisée pour détruire la vie, in fine la vie est morte avec ou sans émission de CO2 »[1] (Vers 13mn)


Mais plutôt qu’une transcription très partielle de cet exposé, j’ai choisi de reprendre quelques extraits de la seconde partie de la vidéo, au moment des questions/réponses.  

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Source de l'image : 
https://www.lafactory.ma/destruction-des-ecosystemes-perte-de-biodiversite-surconsommation-ce-que-le-coronavirus-dit-de-nos-societes/

Question :

« Tu as beaucoup parlé d’aéronautique et du spatial, mais le spatial a un peu aidé à la compréhension du réchauffement climatique. Quel peu être le rôle du spatial dans la suite et prend-t-il la bonne direction ? »

 

Réponse AB :

(…) Sincèrement je peine un peu avec cette question. Evidement qu’il y a beaucoup de belles conséquences du spatial. Bien évidement que cela a aidé. Évidement que moi, dans mon métier de cosmologiste j’utilise des résultats obtenus par des satellites et que ces résultats sont bienvenus. C’est vrai, on le sait. Le problème c’est qu’on est à l’heure des choix. Et sincèrement je trouve pour ce qui est de la catastrophe écologique, pour l’essentiel le spatial ne sert qu’à corroborer ce qu’on sait déjà. Dennis Meadow avait anticipé les points de rupture du système biosphère terrestre sans avoir besoin de satellites. On mesure sur Terre les élévations de température, les fluctuations, les états non linéaires, les chutes de populations, la nécrose des sols, l’acidification des océans. Finalement on mesure très bien sur Terre la mort de la vie. Sincèrement les satellites c’est quand même un peu une information à la marge. Et je trouve que la direction actuelle est triste. L’espace est en train un peu de devenir, pas exclusivement on est bien d’accord, il faut rester subtil et nuancé, mais quand même tendanciellement je crois qu’on va vers une vaste foire publicitaire et commerciale et je trouve ça un peu sale.

Le ciel, n’est-ce pas, on pensait que c’était la seule chose qu’ils ne pouvaient pas nous retirer. On s’est trompé ! Même ça ils savent le maculer. Vous avez entendu parler de cet hôtel spatial pour super riches qui est en projet, de ces stations-services qui sont en contrat, de cette publicité cosmique qui est en préparation. Pardon pour la métaphore, mais je trouve que les immenses structures phalliques des fusées sont un peu une sorte de dernière érection nihilistes… Qui signe la faillite d’une humanité arrogante et aveugle. En ce qui me concerne j’ai tendance à considérer aujourd’hui que l’étoffe des héros, c’est celle des Indiens qui luttent pour la survie de la forêt, c’est celle des réfugiés qui luttent pour la survie de leurs familles, c’est celle des animaux qui luttent pour la survie de leur meute, de leur horde, dans un anthropocène dévasté. Honnêtement l’astronaute il est devenu, malgré lui sans doute, l’image stéréotypée, formatée, aseptisée de l’hubris presque mortifère, d’une société qui a perdu sa superbe.   

 

 

Question :

Je suis d’accord avec toi sur le constat alarmant de la situation. Mais j’ai un problème sur la faisabilité d’une transition écologique. Je ne vois pas comment on peut imposer des contraintes de réduction de consommation à l’échelle globale …


Réponse AB :

(….) Si tu veux dire que cela va être difficile, voire impossible dans les faits, c’est à peu près mon constat aussi. C’est aussi pour ça que je me suis totalement retiré du débat public et que je ne signe plus de pétitions, et que je ne vais plus faire le guignol dans les émissions de radio ou de télé. Parce que finalement il y a quelque chose d’absolument inexorable dans la dynamique qu’on a mis en place.

Il y a plusieurs façons de le voir. Il y a une façon factuelle : tu regardes les rapports de force, les rapports d’influence, le niveau de compréhension, de culture et de sérieux des dirigeants politiques, et là tu arrives forcément à la conclusion que c’est foutu ! (…)

Il y a une autre façon de voir les choses, qui est prendre un peu de hauteur, et de se dire, au-delà de ce constat désastreux, essayons de regarder le niveau d’inéluctabilité des différentes situations. Il y a des choses inéluctables : par exemple, le taux de CO2 dans l’atmosphère on ne peut pas l’épurer de façon chimique (…) Autre exemple : si on s’amuse à faire une guerre nucléaire mondiale, on aura un taux de radiations dans l’air qui sera, la même manière, sur des échelles de temps extrêmement grandes inchangeables. Quand on aura flingué un million d’espèces on ne va pas les faire revivre. (…) A contrario, l’espèce de folie, car ça relève quand même un peu d’une aliénation, dans laquelle nous nous sommes enfermés, c’est-à-dire créer des non-sens, qui sont dévastateurs pour les autres et suicidaires pour nous, quand on y réfléchit deux secondes, on se dit que le système de représentation, dit démocratique, que nous avons mis en place, devrait avoir exactement pour but de veiller à ce genre de choses. Voilà les deux niveaux de lecture. (…)

Quand la courbe de consommation va repasser sous la courbe de production, car ça ne peut pas être autrement, on peut tricher avec le ministère des finances, on ne peut pas tricher avec la physique, ça va être terrible ! Voilà… Je suis en même temps convaincu qu’on ne peut rien faire, et en même temps cela serait tellement facile de faire quelque chose.

  

Question :

(…) Dans quelle mesure vous n’êtes pas d’accord avec le fait qu’on ne pourrait pas être sauvé par le progrès ? Est-ce qu’on peut continuer à faire de la recherche scientifique, que ce soit sur le changement climatique, que ce soit sur des solutions qui pourraient peut-être nous permettre de vivre en peu mieux ? …


Réponse AB :

« Je suis absolument convaincu qu’on peut être sauvé par le progrès. Ce que je récuse, c’est l’endoctrinement des fou furieux en costume trois pièces qui veulent nous faire croire que le progrès c’est de foutre les livres à la benne, de tuer les oiseaux, et d’attendre le bus en alternant entre Facebook et Twitter. C’est ça que je dis. Il faut simplement se réinvestir du concept de progrès. La bonne question finalement et de se demander ce qu’il faut sauver et ce qu’il faut défendre. Mais pour le moment on fait comme si nous savions où aller et que la question était comment y parvenir. C’est faux ça ! La question il faut qu’on se la pose. Pour moi, peut-être n’êtes-vous pas d’accord, le monde d’Elon Musk, l’un des hommes les plus riches du monde, celui qui fait rêver les techno-addicts, c’est un monde où, on pourra lire dans la pensée, dit-il grâce à des dispositifs neuro-sensibles, ou les satellites artificiels auront remplacé les étoiles, ou l’exploration spatiale sera privatisée, remplacée par de la publicité cosmique, où on commercialise des lance-flammes, ce qu’il a fait, pour le « fun », ou on essaye de faire croire qu’un quatre-quatre de deux tonnes peu être une automobile écologique, où on va rendre internet accessible en ultra haut-débit depuis le cœur du Sahara, où on mets une bagnole en orbite, vous vous rendez compte symboliquement ce que ça veut dire, juste pour montrer sa puissance ! Où tout s’organise pour que, lorsque s’organisent les structures de solidarité cèderont, quelques rares milliardaires parviennent à tirer leur épingle du jeu. Pour moi, ce monde là c’est la dystopie absolue ! C’est l’enfer sur Terre ! … Même sans le moindre effet de réchauffement climatique, de biodiversité en chute libre, ou de pollution, pour moi le monde d’Elon Musk c’est le pire des mondes possibles – en tout cas un des pires !

Donc la question est : ou veut-on aller ? Quel est le sujet à défendre ? Et ça ce n’est pas une question de scientifique. La destruction de la vie, ce n’est pas une erreur scientifique (…) Il n’est pas question dans cette affaire de vérité ou d’astuce, il est question de choix. Il faut qu’on comprenne que tout n’est pas compatible avec tout. (…)

Baisser les bras et arrêter certaines activités intellectuelles, certainement pas ! Il faut les réorienter. On est devenus bêtes. On a confondu que quelque chose soit faisable avec le fait qu’il faille le faire. Aujourd’hui c’est : j’ai une technologie pour faire la 27G de téléphones portables, donc je vais la faire. Pourquoi ? Parce que j’ai la possibilité technologique de le faire. Mais cela n’a aucune sens ! (…) Tout ce qui est faisable n’est pas souhaitable. Donc oui, faisons du progrès, mais le progrès c’est le contraire du monde de Musk et de Bezos …

 


Question :

En tant que professeur, comment pensez-vous qu’il faille inclure l’écologie dans l’enseignement ? ET plus précisément, dans une école comme la nôtre ?


Réponse AB :

(…) Mettre des cours d’écologie à « Sup-Aéro », ou à « Centrale », ou partout ailleurs, c’est quand même un peu mettre des cours de pacifisme dans une entreprise de fabrication d’armes. C’est paradoxal. Car soit le cours n’est pas entendu, soit l’entreprise ferme. Vous êtes une grande école, une école prestigieuse, mais au-delà de « Sup-Aéro », regardez le panel des grandes écoles françaises. Elles sont toutes le dos tourné à la vie. Elles reflètent toutes une vision du monde qui est assez dépassée, et relèvent d’une inertie qui devient problématique. Qu’est-ce qu’on valorise dans les grandes écoles ?  D’abord vous avez réussi un concours très difficile, mais très formaté. Ou vous avez été entrainés à la résolution d’exercices similaires, sans jamais devoir questionner la pertinence de l’énoncé. Quand on y réfléchit c’est étrange tout de même … Ensuite vous avez été aussi entrainés à ne jamais poser de questionnements philosophiques. Jamais de contextualisation historique. Jamais de résonnances artistiques. Et une fois que vous avez intégré l’école, je parle des grandes écoles en général, qu’est-ce qu’on apprend essentiellement ? A construire des objets techniques, à produire de la croissance, à manager des équipes, à artificialiser l’espace, bref tous les points qui pris un à un sont les causes et non pas les conséquences de la chute à laquelle on assiste.

Dans ma fac à Grenoble je fais un petit cours d’écologie avec d’autres collègues, je ne sais pas vraiment quel sens ça a. Car il y a une capacité de résilience de notre système qui est à la fois admirable et paniquante. Vous vous rendez compte, et regardez « Don’t look up », si vous ne l’avez pas encore vu, c’est parfait ! Les personnages ne sont pas exagérés. Je vous jure je les connais tous. Je les ai vu pour de vrai. En fait vous allez sur un plateau de télé pour dire, c’est la fin du monde les amis, il y a un truc grave qui se passe, qui ne s’est jamais passé dans les quatre milliards d’années d’évolution de la vie sur Terre, ce n’est pas exactement un détail et à la fin on vient vous voir en vous demandant quoi ? Si vous êtes à la télé on vous dit : c’était pas mal, mais attention faudrait remaquiller un peu pour la seconde partie de l’émission… Et puis essayes de sourire un peu plus, c’est un peu sinistre, ce n’est pas cool ! Comme dans le film, je l’ai vécu. (…) On est encore dans la société du spectacle de Debord. Donc oui sans doute faire des cours c’est mieux que rien. Voilà !  Mais est-ce que faire des cours, sans changer l’architecture systémique à vraiment un sens, sincèrement je crains que non ».

 



Question (pour finir) :

Finalement le crash est-il évitable ?


Réponse AB :

Si on veut dire, est-ce qu’un atterrissage en douceur est encore possible ? C’est sûr que non… On a, pendant cinquante ans, consommé deux fois plus que ce qui était disponible de façon durable. Et puis de toute façon on a déjà tué l’essentiel des êtres vivants sur Terre. (…) Est-ce que pour autant le crash veut dire à la fin tout le monde est mort, bien sûr que non. Donc je ne pense pas qu’il faille se poser la question en termes de : est-ce qu’on peut s’en sortir ? Ce qui est intéressant dans cette question, c’est : qu’est-ce que « le on » ? Qu’est-ce que « le s’en sortir » ?

C’est qui le on ? Les étudiants de « Sup-Aéro » ? Les Français ? Les Européens ? Les Occidentaux ? Les riches ? Les humains ? Les mammifères ? Les vertébrés ? Les vivants ?

Et dans le « s’en sortir », cela veut quoi ? Que le « on » identifié reste là et tous les autres meurent ? Ou que « le on » identifié reste- là en tant qu’espèce, mais ce n’est pas grave si les trois quarts meurent ?   Cela veut dire concrètement : vos parents, votre copine et vos gamins vont mourir mais pas vous, donc c’est bon parce que l’espèce n’est pas menacée.

Donc le concept de crash (…) est tellement polysémique que la chose à mettre sur la table c’est de savoir ce qui nous importe. Ce n’est pas un détail rhétorique ! Je suis allé à des discussions d’universitaires très intelligents mais on ne parlait juste pas de la même chose. J’ai des collègues pour qui la seule chose qui compte c’est la durée de vie de l’humanité. Si la durée de vie de l’humanité ne chute pas tout va bien – d’abord elle va chuter ! Mais le fait qu’on détruise des millions de milliards d’êtres vivants en termes de dommages collatéraux, ce n’est même pas qu’ils s’en fichent, ce que cela ne leur traverse même pas l’esprit. Les autres vivants ne sont pas même réifiés, ils sont effacés. Je ne suis pas d’accord. Mais ce n’est pas un problème scientifique c’est un problème axiologique. (…)

Regardez le débat présidentiel en ce moment en France. Je trouve ça émétique ! (Un débat) de mesquinerie et de médiocrité. Qui pose cette question ? Ou veut-on aller ? Personne ! Faut déjà se poser cette question et ensuite on verra ce qu’on peut faire …

Et là déjà on n'est pas tous d’accord là-dessus (…) Certains pensent peut-être que l’iphone 28 rend heureux. D’accord, mais mettons-le sur la table alors … Ne faisons pas comme si c’était un implicite. Si la majorité de la population préfère voir ses enfants crever mais avoir l’iphone 28, très bien … Mais au moins cela sera dit et on le fera en connaissance de cause !  



[1] Incise à propos de la fusion nucléaire.  


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