La dispersion est, dit-on, l'ennemi des choses bien faites. Et quoi ? Dans ce monde de la spécialisation extrême, de l'utilitaire et du mesurable à outrance y aurait-il quelque mal à se perdre dans les labyrinthes de l'esprit dilettante ?
A la vérité, rien n’est plus savoureux que de muser parmi les sables du farniente, sans autre esprit que la propension au butinage, la légèreté sans objet prédéterminé.
Broutilles essentielles. Ratages propices aux heures languides...
Un lieu magique qui offre le privilège, pour peu que l’on s’y rende
hors saison, de pouvoir savourer quelques lampées de solitude choisie ;
d’être opportunément tenu éloigné des fauteurs de bruits pour qui tout n’est
qu’environnement et défouloir …
Parcours ...
Ainsi ce jour de début décembre, jour de neige, où il me fut loisible
de croiser sur la journée, lors d’une boucle de 21 km à un rythme de tortue,
plus de 40 espèces d’oiseaux – et si peu de mes congénères. Et d’admirer ces
paysages au vaste ciel contrasté ; un véritable bain de couleurs. Un
parcours rituel qui s’ouvre sur 3 km entre pins, lande et massif dunaire, avant
de rejoindre la plage et ses alignements de piquets à moule, visibles à marée
basse. Et de là, plonger au sud vers la baie et dépasser le banc de l’Islette,
empruntant un petit sentier qui serpente entre dunes et maquis, inondé et pris
de glace, pour aller enfin lorgner du côté de l’observatoire du Marquenterre situé
côté baie.
Sentier gelé (Photo par Axel)
Sentier gelé (Photo par Axel)
La plage (Photo par Axel)
Y rester plus d’une heure, tranquille, à contempler le bruissement de
la nature. S’émouvoir de la venue d’un martin-pêcheur, prenant la pose dans un
rayon de lumière, tandis que sur le plan d’eau et dans la roselière la vie
s’ébroue … Parmi les espèces notables, deux visiteurs d’hiver, des
anatidés : le garrot à-œil-d ’or et le harle piette – j’en compte trois (2
mâles et une femelle). Passe à deux reprises, d’un vol chaloupé, une femelle ou
un immature de busard des roseau … La réserve est fermée, tout est calme, le
temps suspendu à un vol de bruant des neiges …
Busard des roseaux (photo par Axel)
Harle piette (Photo par Axel)
Huitrier-pie (photo par Axel)
Martin-pêcheur (photo par Axel)
Mais en cette saison les jours se font courts, et dès le début de
l’après-midi il faut songer à rebrousser. Cela tombe bien car c’est la marée
haute ; un faible coefficient cependant et, pour se mêler aux limicoles,
il faut prendre droit vers le large pour rejoindre le fil des vaguelettes, là
où elles grignotent le sable … Posés sur
l’horizon des bancs de goélands où se mêlent quelques cormorans. Plus loin une
nuée d’huitriers-pies vient au reposoir, accompagnés de trois ou quatre pluviers
argentés. Sachant les pies de mer plutôt farouches je les contourne afin de ne
pas les fatiguer, et cherche dans mes jumelles les petites boules nerveuses des
bécasseaux. Ceux-là, pour peu que l’on y mette les formes, se laissent
approcher parfois à quelques mètres de distances, poursuivant fébriles leur
activités, indifférents au photographe accroupis à quelques pas.
Oie cendrée & phoque (photo par Axel)
C’est alors qu’au loin j’aperçois dans mes jumelles deux masses sombres
qui se détachent sur le plat de la baie, à la limite des flots. Je dois être à
400 où 500 mètres de distance. Je dirige mes pas droit sur l’objet de
l’intrigue, faisant des arrêts réguliers. Et d’élucider bientôt l’un des deux
mystères :une oie cendrée !
L’autre me semblant être un gros morceau de bois amené par la marée.
A mon approche l'oie se résout à s'éloigner en nageant. Sa présence,
solitaire à cet endroit et son comportement me fait songer à un oiseau blessé,
incapable de voler. Quant au bout de bois il me semble bouger légèrement. Un
phoque !
Phoque (photo par Axel)
Soleil descendant sur la baie (photo par Axel)
Lumières de la baie (photo par Axel)
L'animal est de dos et je m’approche à une dizaine de mètres, signalant
ma présence en faisant du bruit. Il tourne sa tête dans ma direction et avec
maladresse se dirige sur moi. Surpris par ce comportement je songe à un
individu en détresse. Il pousse parfois des petits cris me fixant de ses grands
yeux tristes, basculant sur le flanc, puis vient pratiquement se blottir entre
mes bottes. Que faire ? … Faute de
réseau, je le géolocalise et me convainc, au bout d’un bon quart d’heure de
tergiversation, de partir avec l’idée de croiser quelqu'un pour lui exposer la
situation – je me retourne à plusieurs reprises ; j’ai le sentiment de
l’abandonner ... Autour de lui s’activent des bandes de bécasseaux Sanderling,
auxquels je ne prête que peu d’attention, obnubilé que je suis par l’animal. Au
bout d’un gros kilomètre, je fini par croiser deux jeunes femmes qui, motivées
par mon récit, m'accompagnent jusqu'à l'animal, ayant réussi à appeler les
pompiers. Ces derniers nous mettent alors en relation avec l'association locale
qui gère ce genre de cas. Gros soulagement !
Mais le ciel commence déjà à se teinter de sombreur et je me décide à rentrer,
afin d’arriver avant la nuit – la fatigue et le froid se font sentir ... Quant
aux deux femmes, elles préfèrent rester encore un peu au chevet du phoque –
désormais localisé et pris en charge. L’une d’elle me promet de me donner des
nouvelles.
(photo par Axel)
De fait, je reçois en soirée un message où elle m’explique qu’elles ont
été rappelées par la responsable de l’association locale de la protection de la
nature, et qu’il s’agit, au vu des photographies, d’un bébé ayant été déjà
signalé la veille. Que les naissances de phoques gris dans la baie de Somme
étaient rares mais pas inhabituelles. Qu'il n'était pas anormal qu'il soit seul
pour une durée de 1 à 3 jours, la mère étant occupée à chasser. Bref il n'avait
pas besoin d'assistance et se trouvait en bonne santé, que bientôt il ferait
ses 35 kg …
Une histoire banale et à la fois singulière. Touchante.
La pointe du Hourdel, à marée haute (photo par Axel)
Se rendre à la pointe du Hourdel
le dernier jour d’octobre, par un temps capricieux… Chatoyance de couleurs,
nuances de gris et de bleu – essuyées sur le noir des nuages. Crevants parfois
d’un trop plein de larmes.
Prendre le sentier qui sinue le
long de la côte, entre amas de galets et massif dunaire criblé d’argousiers, sous
le regard curieux d’un phoque ; son œil rond embrasse l’immensité avec
nonchalance. Marcher en direction du phare de Brighton ; fuseau rouge et
blanc dans ce paysage barré au loin par les falaises d’Ault, mince trait de
craie prolongé par l’infinie perspective de la mer … Il s’agit ici bien sûr,
non pas de la station balnéaire anglaise mais du hameau Brighton-les pins,
rattaché à Cayeux-sur-mer …
Vue sur le phare de Brighton (photo par Axel)
Ombre (photo par Axel)
Arc-en-ciel (photo par Axel)
Les pipits maritimes et les
traquets pâtres s’affairent … Au loin des limicoles en nuée s’en vont au
reposoir sur une langue de galets. Des bécasseaux Sanderling pour la plupart sans
doute, accompagnés d’un ou deux grands gravelots. Les taches blanches des
aigrettes picorent dans les mares éphémères. Goélands marins et argentés les
accompagnent. Des mouettes rieuses encore, en plumage hivernal.
Banc de galets (photo par Axel)
En chemin ramasser et mettre en
poche un minuscule galet aux reflets noirs, trouver une branche moussue, un
coquillage … Ancres émotionnelles qui bientôt attiseront la nostalgie des
instants évaporés. Et ce ciel ! Immense et changeant d’un instant l’autre.
La marée est très haute, le
sentier inondé. Le blockhaus affaissé pris dans les flots se recueille … Il
songe peut-être à sa jeunesse guerrière, sa vieillesse apaisée – Vigie de la
plage son délabrement résume l’horizon.
A Delphes, le paysage en cascade accroché à flanc de colline, abrite de
vestiges hallucinés. Là, dans les parages du mont Parnasse se trouverait le nombril
du monde, l’Omphalos. Voici ce qu’en dit Pausanias :
« Ce que les habitants de Delphes appellent omphalos est en fait une
pierre blanche et considérée comme se trouvant au centre de la terre, et
Pindare, dans une de ses Odes, confirme cette opinion. »
Dans le musée archéologique de Delphes -Sphinx des Naxiens(photo par Axel)
Parmi les ruines du sanctuaire rôdent les fumerolles de sentences
célèbres ; ainsi Gnothi seauton (en grec ancien Γνῶθι), signifiant « connais-toi
toi-même ». Maxime qui était gravée à l'entrée du temple d'Apollon et qui à
l’époque était une mise en garde contre l’hubris humaine … De ce temple
ne restent aujourd’hui que quelques colonnes – tout passe …
Temple d'Apollon (photo par Axel)
La Tholos, rotonde du IVe s. av. J. (photo par Axel)
J’emprunte le texte qui suit à Mélanie, dont je ne saurai trop
conseiller d’aller s’abonner à sa page :
« La divinisation est une pratique qui existe depuis
l’antiquité. Pour les grecs il y a une grande médium qu’il faut consulter c’est
la Pythie, une prêtresse qui était présente dans le sanctuaire de Delphes et
qui pouvait être occasionnellement consultée par les grands dirigeants grecs,
contre des offrandes. Selon les textes la Pythie entrerait en contact direct
avec Appolon, et pour se faire a besoin d’un peu d’aide. Selon les sources elle
était l’influence de vapeur de laurier – pour information le laurier c’est une
plante toxique quand on la fume. Tu m’étonnes qu’elle avait des visions. Malgré
cela la pythie était assez nébuleuse. Tant est si bien que des prêtres étaient
chargés d’interpréter la vision et devaient rédiger sous forme de vers la
prophétie avant de la donner aux commanditaires. »
En 2015, j'écrivais, en
première page de l'ouvrage, selon une manie qui m'est propre, « Lire
Paul Veynes, c'est comme boire une liqueur sous le soleil »..
Je venais d'ouvrir « L'empire gréco-romain ».
Mais il est des monuments
qui ne peuvent se lire qu'avec parcimonie – du moins chez moi.
Aussi ai-je ajouté en 2021 : « J'en reprends une
gorgée, dans le jardin (reprise page 209) ». Il faut
savoir que cet essai ne comporte pas moins de 1044 pages.
J'en reviens donc, en ce
samedi de canicule de septembre de reprendre le fil de cette lecture
à la page 640.
Et de me dire, sans que
ce cela soit ici d'aucune utilité, que finalement je n'aurai pas
réussi à finir ce livre avant la mort de son auteur (29 septembre
2022). Car je suis précisément arrivé à un passage où il est
question de trépas. Une problématique qui dépasse le strict cadre
de l'empire gréco-romain. J'en relève sur le fil quelques
fragments, et les abandonne à l'attention des quelques improbables
arpenteurs de chimères qui se perdront sur cette page :
« Les mythes
orphiques ou les initiations dionysiaques auxquels accédaient une
minorité de riches lettrés promettaient d'obtenir les faveurs des
dieux dans l'au-delà (…) Mais ce paradis souterrain ne comportait
pas d'enfer éternel (…) Le grand dilemme chrétien du salut ou de
la damnation éternels ne se posait pas » (p 641)
« Quant à
l'imagination populaire (…) Elle se représentait le séjour des
morts comme un lieu triste et ombreux où la vie était ralentie et
morne » (p 642)
« … le
scepticisme des classes lettrées ; César, grand pontife,
pouvait sans impiété ni scandale affirmer en plein Sénat qu'il n'y
avait rien après la mort » (p 644)
« … lorsque
nous-mêmes mettons des fleurs sur une tombe ou quand les anciens y
plaçaient de la nourriture, eux et nous ne pensons pas pour autant
que les morts viendront en humer le parfum... » (p 645)
« Les rites
funéraires (…), ne sont que des gestes consolateurs, des façon
d'honorer le défunt ou les métaphores du dévouement qu'inspire son
souvenir ». (p 646)
« … certaines
personnes vont 'visiter' (comme on dit) leurs défunts au cimetière
parce que, sans croire à la survie du mort, elles ne veulent pas
abandonner leur défunt, le laisser seul, le négliger ; elles
éprouvent de l'émotion devant la tombe ... » ( p 646/647)
« La sensibilité
est première lorsqu'un de nos contemporains dépose dans le cercueil
d'un de ses proches le livre ou le disque préféré du défunt ;
il ne croit pas pour autant que le disparu le lira ou l'écoutera :
il répond à sa sensibilité et non à une croyance qu'il n'a
pas » (p 649
Arriver à l'heure du
midi par un sentier dunaire en Baie de Somme. Se retrouver seul,
isolé du reste du monde à marée montante sur un mince cordon de
sable, entre les argousiers et les oyats. Attendre que la marée
soit haute et ferme toute retraite possible (et surtout tout accès
aux éventuels fâcheux).
Baie de Somme à marée haute (photo par Axel)
Baie de Somme à marée haute (photo par Axel)
Ne penser à rien …
Assis face aux vagues qui viennent mourir à vos pieds. Juste
ressentir. Dans haut le ciel passent les goélands et les mouettes.
Quelques aigrettes blanc de neige aussi … Au ras des flots filent
d'intrépides hirondelles. Et rester à attendre que rien ne se
passe, sous la caresse du pâle soleil du premier jour de septembre.
Seul sur ce fragment de
rivage ? Pas tout à fait … Le rêveur éveillé a pour
compagnie trois grands gravelots et un tournepierre à collier. Ce
dernier qui porte bien son nom, s'active, retournant avec assiduité
coquillages et cailloux qui jonchent le rivage. Ses compagnons sont
plus tranquilles et profitent du reposoir pour bailler.
Grands gravelots (photo par Axel)
Grand gravelot (photo par Axel)
Tournepierre à collier (photo par Axel)
Tout ce petit monde
cohabite dans un bel esprit et il fait plaisir au rêveur éveillé
de partager son îlot avec les oiseaux.
Mais rien n'est fait pour
durer... Les flots s'essoufflent et la marée se met à décroître.
Imperceptiblement tout d'abord. Puis plus nettement. Au loin une
traînée de promeneurs intempestifs se profilent.
Vue du mur de l'enceinte de la forteresse de Mycènes (Photo par Axel)
Les
vestiges des civilisations disparues s'étalent par grappes sur la
frise du temps. Ainsi l'âge d'or de la grecque antique s’arrime
grosso-modo de 500 à 300 avant l’ère du crucifié. A ces époques
les cités rivalisent de splendeur et de puissance : Athènes et
son Acropole, Sparte sa rivale, située au cœur du Péloponnèse, ou
encore Corinthe, sur son isthme, à cheval entre deux mondes.
Sur
la côté occidentale de l'Asie mineure (Turquie actuelle) les
agglomérations ne sont pas en reste. Que l'on songe donc à Éphèse
ou à Milet...
Pour
l'amateur dilatante, ces ruines vénérables sont des perles
égrainées sur la poussière des époques révolues. Et de se
prendre de vertige lorsqu’on songe aux années écoulées pour
arriver à nos jours (deux millénaires et demi) – et mesurer toute
la fugacité d'une existence humaine.
Porte des lions (photo par Axel)
Sur les flancs de la forteresse de Mycènes (photo par Axel)
Tombes circulaires (photo par Axel)
Mais
dans les rides du temps d'autres civilisations les précèdent. En
va-t-il ainsi de Mycènes dont l'apogée se situe entre 1400 et 1200
av JC. C'est d'ailleurs des Mycéniens qui prendront le contrôle
d'une autre civilisation plus ancienne que la leur : la
civilisation minoenne qui régna sur la Crète (2700 – 1200 av JC).
Mycènes s’effondrera et laissera la place à des « âges
obscurs », avant le renouveau grec.
Aujourd’hui
visiter Mycènes c'est passer sous la porte des lions, l’entrée
principale de la forteresse antique, accrochée à un mur cyclopéen.
C'est se projeter à l'âge du bronze, et dépasser les tombes
circulaire pour grimper jusqu'aux vestiges du palais royal situé sur
le point le plus élevé de la citadelle. C'est songer aussi à la
fondation mythique de la cité par Persée... C’est enfin une fois
redescendu de l'escarpement aller prendre le frais sous l'ombre
gigantesque des tombes à coupole – et peut-être évoquer la
figure d'Agamemnon, roi de Mycènes, héro homérique qui provoquera
la colère d'Achille. Mais c'est une autre histoire.
L’acrocorinthe est le nom donné à la forteresse plantée sur une falaise
située à une altitude de 575 mètres, dominant à la fois le site archéologique
de l’ancien Korinthos, la ville nouvelle et l’isthme de Corinthe.
Sittelle de Neumayer (photo par Axel)
Pour les détails pratiques il faut savoir que si le site est entièrement
gratuit, il ouvre tôt le matin mais ferme ses portes à 15h30. Aussi aura-t-il
fallu à quelques arpenteurs de ruines, plutôt imprévoyants, de récidiver pour pouvoir
passer les grilles de la forteresse, et essuyer entretemps un revers mécanique,
sur les pentes du nid d’aigle – ou plutôt territoire des sittelles de Neumayer,
dont les cris et les chants accompagnent le marcheur.
La vue y est faramineuse…
Acrocorinthe (photo par Axel)
La plaine étendue jusqu’à la mer… Les lacs d’oliviers.