Blogue Axel Evigiran

Blogue Axel Evigiran
La dispersion est, dit-on, l'ennemi des choses bien faites. Et quoi ? Dans ce monde de la spécialisation extrême, de l'utilitaire et du mesurable à outrance y aurait-il quelque mal à se perdre dans les labyrinthes de l'esprit dilettante ?


A la vérité, rien n’est plus savoureux que de muser parmi les sables du farniente, sans autre esprit que la propension au butinage, la légèreté sans objet prédéterminé.

Broutilles essentielles. Ratages propices aux heures languides...


21 août 2014

Alain Devaux - De la baie de Somme au Crotoy... Peintre de l'accidentel, sous un ciel brouillé

Ecrit en aôut 1997 :

Au détour d’une venelle du Crotoy, nous vîmes, placardé sur la vitrine d’une poissonnerie, une figure sans visage qui nous décida de nous rendre à Saint Valéry. C’était il y a de cela quelques mois ; aux prémisses du printemps.
Je ne sais pourquoi, mais à la vue de ce portrait j’ai immédiatement pensé à Spilliaert 
- Les autoportraits  énigmatiques ?

Arrivé sur place, le tenancier de la galerie, glauque et plantée sur une intersection, sans vue aucune sur la cité médiévale nous apprit que l’artiste dont il avait exposé quelques œuvres venait déjà depuis quelques années dans la baie. Source d’inspiration que je comprends oh combien ! Comment avions nous fait pour le manquer ? Peu importe au fond. Mais nous sommes revenus ventre à terre dès l’été, comme nous le faisions toujours ; cherchant cette fois à le rencontrer...
Il était là, seul dans une salle de classe, bohème avec son regard azur qui s’accordait si bien à ses créations... Il dessinait et nous n’osâmes point troubler sa méditation en actes. Dans ce qui retint alors notre attention, lors de notre pérégrination silencieuse, il y avait une œuvre dénommée « Le crucifix du port ». Nous avons tergiversé, hésitant à l’aborder... Une touriste entra alors bruyamment ; et brisant la sérénité des lieux, l’interpella direct :

-  « Vous vous souvenez  ? L’année dernière je vous avais acheté une vue de la baie ».
Il se leva aimable. Opinant. La femme - dont ma mémoire a effacé jusqu'aux  traits - frétilla d’aise et se pâmant lança, pointant une toile :
- « Avec vos yeux de peintre ? ... Que voyez vous ? »
Nous sortîmes illico effarés pour ne revenir que le dernier jour de l’exposition. Le crucifix, hélas, n’était plus là... Par une espèce de nécessité impérieuse, il nous fallait absolument acquérir l’une de ses œuvres. Restait dans nos goûts une église.
C’est lui qui nous aborda. Et le courant passa tout aussitôt...
Certains, nous confia t-il au détour d’une phrase sans la moindre pointe de fierté, mais juste pour alimenter la conversation et nous inciter à l’échange, l’avaient rapproché de Manessier - Le peintre de Saint Ouen qui avait voulu figer il y a des années de cela le portrait de ma mère encore jeune fille. Elle avait refusé, trouvant ses œuvres laides. A la vérité j’appris plus tard, dans une autre version de cette histoire que c’était ma grand-mère, l’acariâtre, qui n’y avait pas consenti, jalouse que sa fille puisse être ainsi immortalisée alors qu’elle-même passerait bientôt ne laissant pour tout souvenir qu’une aigreur largement partagée.


Mais pour en revenir à cette comparaison, il n’y avait rien de plus faux que ce rapprochement d’avec Manessier, et la seule raison de cette assertion était un stupide corollaire géographique. D’autres, un peu plus subtils, s’étaient décidés à le rattacher à Boudin (Il avait cru alors qu’on lui parlait de charcuterie), mais je n’y trouvait là non plus mon compte... Il avait eut droit aussi  son Mécène ; ce dernier lui avait acheté 24 tableaux et offert 16 livres consacrés à la peinture... A cette époque, pas si reculée, il nous avoua qu’il ne connaissait que Monet... Voici démontré, s’il en était besoin, que la pulsion artiste se passe fort bien des artifices académiques – Mais il n’y à là aucun motif pour en tirer une règle générale : à chacun selon ses inclinations et le hasard de ses rencontres.
Sur mon propre ressenti enfin : chez Alain Devaux je ne lis aucune géographie particulière, bien qu’il peint beaucoup la baie. Ses couleurs, où le bleu domine, ne relèvent pas d’horizons 
du bout du monde. Il ne s’agit pas ici d’un azur net, mais de cette teinte trouble qui s’en va se perdre dans un horizon où l’indifférencié s’en va embrasser la baie. C’est là le paradoxe ! Omniprésente, pareille aux réminiscences d’un songe qui nous échappe… Se trouve aussi  cette touche acérée d’un expressionnisme léger qui dessine avec une justesse extrême, le morbide, ou plutôt le surréel – un surréel de l’en-deça - de fantasmagories vers lesquelles mes affinités me portent.
Inutile de préciser que nous repartîmes avec «Eglise » : Eglise imaginaire entre toutes. Familière. Mais altérée si bien pour hanter mes chimères.

___________________________

  (D'autres oeuvres de ce peintre sur ArtSomme)

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire