Blogue Axel Evigiran

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La dispersion est, dit-on, l'ennemi des choses bien faites. Et quoi ? Dans ce monde de la spécialisation extrême, de l'utilitaire et du mesurable à outrance y aurait-il quelque mal à se perdre dans les labyrinthes de l'esprit dilettante ?


A la vérité, rien n’est plus savoureux que de muser parmi les sables du farniente, sans autre esprit que la propension au butinage, la légèreté sans objet prédéterminé.

Broutilles essentielles. Ratages propices aux heures languides...


22 août 2014

Carthage : " C’était à Mégara, ..., dans les jardins d’Hamilcar ". Périple en terres africaines, parmi les ruines

C’était à Mégara, faubourg de Carthage, dans les jardins d’Hamilcar. 
Les soldats qu’il avait commandé en Sicile se donnaient un grand festin pour célébrer le jour anniversaire de la bataille d’Eryx, et comme le maître était absent et qu’ils se trouvaient nombreux, ils mangeaient et buvaient en pleine liberté"


C’est avec, en tête, la griserie lancinante suscitée par la prose magnifique de Flaubert, que nous nous étions élancés sous le soleil de midi, depuis Hammamet, à la rencontre des ruines de Carthage.

Bercés par les alizés, chemin faisant sur une autoroute déserte, mollement alanguis nous rêvions aux amours du prince Enée d’avec la belle Didon, reine de Carthage. Nous ne savions pas que l’écume des songes n’a plus rien d’autre à offrir au voyageur que de vaines nostalgies.

Les remparts de Tunis, là où mourut vidé de ses entrailles en août 1270 le roi Louis, neuvième du nom, lors de la calamiteuse huitième croisade, ne sont plus que vapeur d’été laissée derrière nous, sur l’occident. Secrète alchimie des nombres ; gnose ne signifiant rien au fond. Mais il est si rassurant de croire le monde cosmos plutôt que chaos.
Et c’est dans les rues ombragées de quartiers cossus que nous sommes engagés. Rien que modernité à perte de vue, avec la mer, impassible à l’orient. Des guérites où des gardiens plus ou moins licites tentent de soudoyer d’inutiles services. De Carthage, il ne reste que des souvenirs enfouis, des légendes impalpables… Mais à qui la faute ?

Il faut remonter en l’an 814 avant notre ère pour voir la cité punique émerger du néant. Lorsqu’on sait que certains séquoias géants de Californie, toujours en pleine force de l’âge, ont plus de 2500 ans, cela incite à l’humilité… Carthage fut ainsi fondée par des colons phéniciens ou des navigateurs Tyriens, et deviendra une puissance dominante en méditerranée occidentale au cours du quatrième siècle av JC.


C’est ainsi que son destin croisa celui de Rome. Deux cités pour un empire ; à l’instar de Remus massacré par son jumeau Romulus, Rome poignardera Carthage à trois reprises. Mais revenons un instant à ces jardins d’Hamilcar où l’esprit de rébellion gronde… La première bataille punique a été est perdue par les Carthaginois. Les conditions imposées par Rome ont obérées lourdement les finances de la République, au point de ne plus lui permettre de payer les arriérés de solde de ses mercenaires. Ces derniers ne tardent pas à se révolter. Cela se passe au cours d’un festin fameux imaginé par Flaubert : " A mesure qu’augmentait leur ivresse, ils se rappelaient de plus en plus l’injustice de Carthage. En effet, la République, épuisée par la guerre, avait laissé s’accumuler dans la ville toutes les bandes qui revenaient. Giscon, leur général, avait eu cependant la prudence de les renvoyer les uns après les autres pour faciliter l’acquittement de leur solde, et le Conseil avait cru qu’ils finiraient par consentir à quelque diminution. (…) Fiers d’avoir fait plier le République, les mercenaires croyaient qu’ils allaient enfin s’en retourner chez eux, avec la solde de leur sang dans le capuchon de leur manteau ". 
Mais les choses tournèrent autrement et "une clameur épouvantable s’éleva, et un vertige de destruction tourbillonna sur l’armée ivre ". La situation contraignit Hamilcar à entreprendre contre ses mercenaires une répression impitoyable.

Sur le motif de ce premier choc entre Rome et Carthage, on peut dire qu’il était imputable aux Carthaginois, ces derniers ayant cherché à s’emparer de Messine et faire main basse sur le détroit éponyme, d’importance stratégique. Ses habitants, acculés, en avaient alors appelés aux Légions Romaines.

S’en suivirent vingt trois années de paix où chacun reconstitua ses forces. Jusqu’à ce que survint l’affaire de Sagonte, ville Espagnole alliée de Rome qui en -219 fut prise par Hannibal, le fils d’Hamilcar. Plus préoccupant encore pour les Romains, en -218 l'armée d'Hannibal s'ébranle au printemps vers l'Italie (80 000 hommes - et les fameux éléphants). Passant de l'Espagne au travers des Pyrénées, le Languedoc, la Provence et les Alpes, il accumule les victoires. En - 217 le consul Flaminius se laisse surprendre en plein brouillard et les Romains perdent 15 000 hommes et leur chef. En -216 Rome perd 40 000 hommes, et 20 000 sont capturés sur 80 000 engagés. Mais Hannibal ne pousse pas son avantage et s'installe dans le sud de la péninsule. Syracuse ainsi que Tarente passent entre ses mains. Le malheur voulut que Hannibal s'éternisa à Capoue (d'où l'expression " s'endormir dans les délices de Capoue ") permettant aux Romains de se refaire une santé. C’est ainsi qu’en -212 Rome reprend peu a peu le dessus, et qu’en -211 ils reprennent Syracuse. C’est à cette occasion qu’Archimède trépassa. La légende historique voulut qu’un soldat Romain croisa le savant alors que celui-ci traçait des figures géométriques sur le sol, non conscient de la prise de la ville par l’ennemi. Troublé dans sa concentration, Archimède aurait lancé au soldat " Ne dérange pas mes cercles ! ".

Enfin, en -202 Carthage capitulera sous le menace de Scipion (proconsul d'Espagne débarqué en Afrique en –204 et qui prendra le surnom de Scipion l'africain) et devient vassal de Rome. Carthage est saignée démographiquement et financièrement.


Quant à la troisième guerre punique, elle aura pour origine les manœuvres du roi Numide qui, fort de l'appui des Romains, étendra ses fiefs au détriment des Carthaginois, déjà terriblement présurés par les exigences de Rome. Carthage déclarera la guerre aux Numides, fournissant ainsi à Rome, le prétexte d’une nouvelle intervention. C’est ainsi qu’ " en -149 les Romains débarquent pour menacer directement la métropole africaine. Réduits à merci, les habitants de Carthage eurent beau livrer leurs armes et 300 otages, cela ne suffit point. Les consuls n'exigeaient rien moins que l'évacuation complète de la ville, qui devait être rasée et reconstruite ailleurs. Rome contraignit ainsi Carthage à une résistance héroïque, qui ne dura pas moins de 3 longues années. (…) Au terme d'une semaine entière de combats dans les rues, de jour comme de nuit, la ville tomba en -146. Il ne devait pas rester pierre sur pierre. Une fois les habitants évacués afin d'être vendus comme esclaves, l'ensemble urbain fut entièrement détruit et – détail significatif -, l'emplacement même fut voué par les prêtres aux dieux infernaux : maudit serait celui qui oserait y revenir ".

Rome n'aurait plus qu'à reconstruire, 25 ans plus tard, ce qu'elle avait si rituellement – et stupidement – ravagé ".

De ce qui se visite aujourd’hui de Carthage, se ne sont que les restes de la cité rebâtie par les Romains. Les ruines des termes d’Antonin en forment l’essentiel.
De Salammbô il ne reste rien…



 (1) Lucien Jerphagnon, Histoire de la Rome Antique. Tallandier, 2002. Ce billet Lui doit d’ailleurs beaucoup.  

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Quelques photographies





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