Blogue Axel Evigiran

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La dispersion est, dit-on, l'ennemi des choses bien faites. Et quoi ? Dans ce monde de la spécialisation extrême, de l'utilitaire et du mesurable à outrance y aurait-il quelque mal à se perdre dans les labyrinthes de l'esprit dilettante ?


A la vérité, rien n’est plus savoureux que de muser parmi les sables du farniente, sans autre esprit que la propension au butinage, la légèreté sans objet prédéterminé.

Broutilles essentielles. Ratages propices aux heures languides...


21 août 2014

Balade autour du Suave, mari magno... de Lucrèce ( De la nature) - Un commentaire de Julie Giovacchini...


Lucrèce, philosophe-poète latin du Ier siècle av. J.-C, dont on sait peu de choses sur la vie, auteur du « De rerum natura », un long et magnifique poème passionné qui décrit le monde selon les principes d'Épicure.
Calomnié en ces termes  par Jérôme de Stridon (dit saint Jérôme 340 à 420), qui ne supportait sans doute pas les thèses épicuriennes :

« Le poète Titus Lucretius nait. Rendu fou par un philtre d'amour, il rédigea dans ses moments de lucidité quelques livres que Cicéron corrigea par la suite. Il se donna la mort dans sa quarante-quatrième année

Pour en savoir plus : Introduction autour de Lucrèce et de l'Epicurisme (par Jacques Poucet) 






Début du second chant de cette oeuvre sublime, un passage célèbre et controversé :

« Il est doux, quand la vaste mer est soulevée par les vents, d'assister du rivage à la détresse d'autrui ; non qu'on trouve si grand plaisir à regarder souffrir ; mais on se plaît à voir quels maux vous épargnent. Il est doux aussi d'assister aux grandes luttes de la guerre, de suivre les batailles rangées dans les plaines, sans prendre sa part du danger. Mais la plus grande douceur est d'occuper les hauts lieux fortifiés par la pensée des sages, ces régions sereines d'où s'aperçoit au loin le reste des hommes, qui errent çà et là en cherchant au  hasard le chemin de la vie, qui luttent de génie ou se disputent la gloire de la naissance, qui s'épuisent en efforts de jour et de nuit pour s'élever au faîte des richesses ou s'emparer du pouvoir.
O misérables esprits des hommes, ô cœurs aveugles ! Dans quelles ténèbres, parmi quels dangers, se consume ce peu d'instants qu'est la vie ! Comment ne pas entendre le cri de la nature, qui ne réclame rien d'autre qu'un corps exempt de douleur, un esprit heureux, libre d'inquiétude et de crainte?
Au corps, nous voyons qu'il est peu de besoins. Tout ce qui lui épargne la douleur est aussi capable de lui procurer maintes délices. La nature n'en demande pas davantage : s'il n'y a point dans nos demeures des statues d'or, Ephèbes tenant dans leur main droite des flambeaux allumés pour l'orgie nocturne ; si notre maison ne brille pas d'argent et n'éclate pas d'or ; si les cithares ne résonnent pas entre les lambris dorés des grandes salles, du moins nous suffit-il, amis étendus sur un tendre gazon, au bord d'une eau courante, à l'ombre d'un grand arbre, de pouvoir à peu de frais réjouir notre corps, surtout quand le temps sourit et que la saison émaille de fleurs l'herbe verte des prairies  Et puis, la brulure des fièvres ne délivre pas plus vite notre corps, que nous nous agitions sur des tapis brodés, sur la pourpre Ecarlate, ou qu'il nous faille coucher sur un lit plébéien ».

E terra magnum alterius spectare laborem;
Non quia vexari quemquamst jucunda voluptas, 
Sed quibus ipse malis careas quia cernere suavest.
Suave etiam belli certamina magna tueri
Per campos instructa tua sine parte pericli; 
Sed nihil dulcius est, bene quam munita tenere 
Edita doctrina sapientum templa serena, 
Despicere unde queas alios passimque videre
Errare atque viam palantis quaerere vitae, 
Certare ingenio, contendere nobilitate,
Noctes atque dies niti praestante labore
ad summas emergere opes rerumque potiri. 
O miseras hominum mentes, o pectora caeca!
Qualibus in tenebris vitae quantisque periclis 
Degitur hoc aevi quod cumquest.
Nonne videre nil aliud sibi naturam latrare, nisi ut qui 
Corpore seiunctus dolor absit, mensque fruatur 
Jucundo sensu cura semota metuque?


Commentaire de ce passage :

(Extrait de l'émission "Les nouveaux Chemins de la connaissance du 22 Mars 2010, Le jardin d'Epicure, avec pour invité de Raphael Enthoven, la philosophe Julie Giovacchini)


JG : Les épicuriens étaient tout sauf des philosophes égoïstes, puisque leur premier projet était d’amener avec eux  sur le bord tous ceux qui sont perdus dans la tempête. Il ne s’agit pas de se complaire au spectacle du malheur d’autrui. Il s’agit de faire prendre conscience à autrui du malheur dans lequel il est plongé, qu’il ne voit même pas qu’il ne ressent même plus, tellement ça lui semble un état habituel et normal. Et de lui montrer qu’il existe justement un refuge possible. […] Il y a un sectateur de l’épicurisme, Diogène d’Oenanda qui était visiblement quelqu’un d’assez fortuné a pris la responsabilité de faire édifier un mur gigantesque sur lequel il a fait gravé ce qui lui semblait l’essentiel de la doctrine épicurienne. Dans quel but ? Dans le but d’édifier les passants en espérant que le personnes qui passeraient devant son mur pour lire ce texte se trouveraient frappés par la vérité de la doctrine…

RE : l’anti-mur des lamentations 
JG : Exactement… et éprouverait tout de suite le désir d’embrasser la doctrine d’Épicure […] Lucrèce veux montrer que l’humanité est plongé dans le malheur mais ce n’est pas irrémédiable. Il y a des refuges. Et le meilleur refuge c’est la pratique philosophie.

RE : Mais qu’est-ce qui distingue ce refuge d’une citadelle, ou d’une tour d’ivoire, dans laquelle on enferme bien volontiers le philosophe en disant que le philosophe ne ce soucie pas des turpitude de la terre et qu’il a la tête dans les étoiles, qu’est-ce qui le distingue du philosophe Platonicien qui se vante de s’occuper des étoile et de laisser les autres assaisonner les plats ?

JG : Mais la citadelle Epicurienne est ouverte. Il n’y a pas écrit sur fronton « que nul n’entre ici s’il n’est géomètre »

RE : Ca c’est chez Platon

JG : Tout le monde est invité. Et justement Épicure a eu a cœur de construire une philosophie que lui même qualifiait de facile. Les principes de la philosophie sont faciles. Faciles à apprendre, faciles à mémoriser. On est justement aux antipodes d’une doctrine élitiste. Epicure a voulu proposer une philosophie vulgaire au sens noble du terme. Et la lettre à Ménécée commence bien de cette façon là : « que nul ne tarde à philosopher » . Il ne s’agit pas d’attendre  d’avoir gravi les échelons de la vieillesse pour se sentir digne de philosopher , il ne s’agit pas non plus de dire je laisse ça au jeune, tout le monde est invité dans la citadelle épicurienne. Il suffit de retenir le Tetrapharmakon*.


* Quadruple remède :
La mort n’est rien pour nous. Les dieux ne sont pas à craindre. Le bonheur est atteignable. La douleur est supportable.  


(Livre au format téléchargeable en PDF)

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